(Kaboul) Le chef de l’État Ashraf Ghani et son principal adversaire Abdullah Abdullah ont tous deux prêté serment lundi comme présidents de l’Afghanistan, plongeant le pays dans une nouvelle crise institutionnelle qui va retarder le début de négociations de paix inédites avec les talibans.

Des explosions ont retenti pendant les cérémonies à Kaboul : le groupe djihadiste État islamique (EI) a revendiqué avoir tiré dix roquettes. Le ministère de l’Intérieur a dénombré quatre projectiles et un policier légèrement blessé.

Cet incident souligne que l’insécurité reste très élevée malgré le processus de paix qui a pour l’instant abouti à la signature, le 29 février à Doha, d’un accord historique entre les États-Unis et les talibans après 18 années de guerre.

Ce texte prévoit le retrait total des forces américaines et étrangères d’Afghanistan sous 14 mois, en échange de garanties des talibans en matière de lutte antiterroriste et du lancement de négociations directes sans précédent entre le gouvernement afghan et les rebelles.

Mais si l’armée américaine a bien annoncé lundi avoir entamé son retrait graduel, pour porter ses effectifs d’environ 13 000 militaires actuellement à 8600 dans les 135 jours, la double cérémonie d’investiture qui se tenait au même moment à Kaboul se dresse comme un nouvel obstacle aux négociations de paix. Leur début, prévu mardi, sera sans doute reporté, sans qu’aucune nouvelle date n’ait été annoncée.

« Je ne porte pas de gilet pare-balles, seulement ma chemise, et je resterai même si je dois y laisser ma tête ! », a lancé M. Ghani sans quitter l’estrade, après avoir juré « d’obéir et de protéger » l’islam et de « respecter et de superviser l’application de la Constitution ».

« Il existe des liens fondamentaux et invisibles entre les talibans et Daesh », l’acronyme employé pour désigner l’EI, a-t-il ajouté, coiffé d’un long turban blanc, devant de nombreux diplomates.

Quelques minutes plus tard, M. Abdullah, qui a officiellement perdu le scrutin de septembre, se déclarait également président d’Afghanistan dans une autre aile du palais présidentiel. « Le peuple afghan m’a confié une énorme responsabilité », a déclaré le chef de l’exécutif du précédent gouvernement d’union nationale.

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Abdullah Abdullah

Le scénario rappelle les pires moments du scrutin de 2014, que les deux mêmes protagonistes affirmaient avoir remporté. La crise avait alors duré trois mois et n’avait été résolue que grâce à une médiation américaine.

Cette fois, le moment ne pourrait être plus mal choisi : la division au sein de l’exécutif afghan ne peut qu’affaiblir Kaboul et renforcer les positions des talibans.

« Esclaves »

« Rien n’est plus important pour ces esclaves que leurs intérêts personnels », a ironisé le porte-parole des insurgés Zabihullah Mujahid, interrogé par l’AFP.

Washington a de son côté appelé à la « formation d’un gouvernement inclusif ».

« Nous nous opposons fermement à tout acte visant à former un gouvernement parallèle », a ainsi déclaré le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, assurant « travailler à la conclusion d’un accord » Ghani-Abdullah.

En raison de leur rivalité, Kaboul n’a pas encore mis en place une équipe de négociateurs à dépêcher à ces pourparlers interafghans.

En outre, le président Ghani s’était opposé, ces derniers jours, à une des clauses négociées entre les Américains et les talibans : la libération de jusqu’à 5000 prisonniers insurgés en échange de celle de jusqu’à 1000 membres des forces afghanes.

Mike Pompeo a « salué » lundi certaines déclarations apaisantes du chef de l’État afghan, à savoir que les négociations continueraient « au cours des deux prochaines semaines pour parvenir à un accord sur un gouvernement inclusif » et qu’un décret statuerait mardi sur la libération de prisonniers talibans et la formation d’une équipe nationale pour les négociations interafghanes.

M. Abdullah a, lui, annoncé que « nommer une équipe de négociateurs » serait une de ses priorités.  

« Les talibans vont dire à l’équipe du gouvernement de régler leurs problèmes internes puis venir et parler », pronostique l’analyste Atta Noori, interrogé par l’AFP. « L’unité est leur seule option s’ils veulent gagner à la table des négociations. »

Les résultats définitifs de la présidentielle n’avaient été annoncés qu’en février, en raison notamment du dépôt par les candidats de 16 500 plaintes pour irrégularités.  

Ashraf Ghani a obtenu 50,64 % des 1,8 million de votes pris en compte. Abdullah Abdullah, qui n’a réuni que 39,52 % des suffrages, a qualifié ces résultats de « trahison nationale ».

Pendant ce temps, les combats ont repris de plus belle dans les campagnes depuis que les insurgés ont mis fin le 2 mars à une trêve partielle de neuf jours.