(Ankara et Bruxelles) L’Union Européenne « rejette fermement l’usage par la Turquie de la pression migratoire à des fins politiques », ont affirmé mercredi les ministres de l’intérieur des 27 pays membres. La déclaration commune a été diffusée mercredi à l’issue d’une réunion d’urgence à Bruxelles, au moment où de nouveaux heurts ont éclaté entre migrants venus de Turquie et policiers grecs à la frontière entre la Grèce et la Turquie.

Les 27 appellent également la Turquie « à mettre totalement en œuvre les dispositions de l’accord » de 2016 conclu avec l’UE à la suite de la crise migratoire de 2015. Pour tenter d’obtenir le soutien des Occidentaux dans son conflit avec la Syrie, Ankara a ouvert ses frontières aux migrants qui se trouvent sur son territoire.

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À Pazarkule, en Turquie, un migrant voulant entrer en Europe s’est approché avec un grappin de la frontière avec la Grèce. Les gardes-frontières grecs ont repoussé des migrants tentant de forcer la frontière en plusieurs endroits.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé mercredi que l’Europe devait appuyer les initiatives turques visant à régler le conflit en Syrie si elle voulait mettre un terme à la crise migratoire.

Les entrées illégales « ne seront pas tolérées »

Des dizaines de milliers de personnes ont afflué vers la Grèce depuis que M. Erdogan a ordonné vendredi l’ouverture des frontières de son pays, réveillant en Europe la peur d’une crise migratoire similaire à celle de 2015.  

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Alors que 1720 nouveaux migrants sont débaqués dans les îles grecques depuis vendredi, des heurts entre migrants et policiers grecs se sont produits sur l'île de Lesbos, comme cet affrontement qui s'est produit mardi.

Pour les Européens, qui ont renouvelé leur soutien à la Grèce, « la situation aux frontières extérieures de l’EU n’est pas acceptable ». Ils ajoutent que le franchissement illégal des frontières « ne sera pas toléré », dans le communiqué.

L’Union et ses États membres prendront « toutes les mesures nécessaires », avertissent les ministres, et ce « dans le respect du droit de l’UE et international », répondant implicitement aux critiques de l’ONU et des ONG qui ont critiqué notamment la suspension des demandes d’asile décidée par Athènes.

Du chantage, dénoncent les Européens

Face à ce nouvel afflux, plusieurs dirigeants européens ont dénoncé un « chantage » turc.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian a affirmé mercredi que l’Europe ne « cédera pas au chantage » turc et que ses frontières resteraient « fermées » aux migrants.

« Nous n’avons jamais considéré les réfugiés comme un moyen de chantage politique », a répliqué le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin.

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Un groupe de migrants avec un homme blessé près de la frontière turco-grecque.

À l’issue d’une visite à Ankara, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a annoncé le déblocage d’une aide d’urgence de 170 millions d’euros « pour les plus vulnérables en Syrie ».

Pierres et gaz lacrymogène

Sur le terrain, de nouvelles échauffourées ont éclaté au poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec). Des migrants ont lancé des pierres en direction des forces de sécurité grecques, qui ont riposté au gaz lacrymogène.

Le gouvernorat d’Edirne (nord-ouest de la Turquie) a affirmé dans un communiqué que six migrants qui tentaient de traverser à Pazarkule avaient été blessés par des tirs grecs. L’un d’eux a succombé à ses blessures à la poitrine, selon cette source.

Un photographe de l’AFP a vu un migrant blessé à la jambe par des tirs en provenance du côté grec. Un autre reporter de l’AFP a vu deux migrants dans un hôpital turc non loin, dont l’un présentait une plaie au tibia saignant abondamment.

Athènes, qui accuse Ankara de propager de « fausses informations », a « catégoriquement démenti » et affirmé que des policiers turcs avaient tiré des grenades lacrymogènes contre les policiers grecs à Pazarkule.

La commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson a rappelé mercredi que la « protection des frontières » de l’UE devait se faire « dans le plein respect des droits fondamentaux ».

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Des garde-frontières grecs en tenue antiémeute lancent des grenades lacrymogènes pour éloigner un groupe de migrants de la clôture séparant la Grèce et la Turquie, aujourd’hui à Kastanies, en Grèce.

Les ministres des Affaires étrangères des 27 vont examiner jeudi et vendredi à Zagreb « une aide à la gestion des demandes d’asile » pour « décongestionner les hotspots », ces centres d’enregistrement des réfugiés, « sur les îles grecques », a indiqué Jean-Yves Le Drian.

1720 nouveaux migrants à Lesbos

Depuis l’ouverture des frontières par Ankara, quelque 1720 migrants ont rejoint les îles de la mer Égée, selon Athènes, s’ajoutant aux 38 000 exilés s’y trouvant déjà.

Dans son discours mercredi, M. Erdogan a accusé les Européens de « piétiner » les droits humains en « battant, coulant les embarcations et même en tirant » sur les migrants qui cherchent à se rendre en Europe.

La décision prise par Ankara d’ouvrir ses frontières intervient au moment où la Turquie cherche à obtenir un appui occidental en Syrie, où elle mène une offensive et où elle est confrontée à un afflux de déplacés.

Deux autres soldats turcs tués en Syrie

L’offensive que mène depuis décembre le régime syrien à Idlib, dernier bastion rebelle et djihadiste dans le nord-ouest de la Syrie, a en effet provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de personnes déplacées vers la frontière turque.

Ankara, qui accueille déjà 3,6 millions de Syriens sur son sol, réclame depuis plusieurs mois la création d’une « zone de sécurité » dans le nord de la Syrie pour y installer les personnes déplacées.

Après plusieurs semaines d’escalade des tensions dans cette région, Ankara a déclenché la semaine dernière une offensive contre le régime.

Le ministère turc de la Défense a annoncé mercredi la mort de deux nouveaux soldats dans des tirs du régime, portant à près de 40 les pertes turques depuis la semaine dernière à Idlib.

Les Turcs abattent un 3e avion syrien

La Turquie, qui a abattu mardi un avion du régime, le troisième depuis dimanche, a multiplié ces derniers jours les frappes de drones. Neuf combattants pro-régime ont été tués mercredi dans une attaque de drone, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG.

Ces affrontements se produisent à la veille d’une rencontre cruciale à Moscou entre M. Erdogan et le président russe Vladimir Poutine, dont le pays appuie militairement le régime du président syrien Bachar al-Assad.  

Le président turc a indiqué mercredi qu’il espérait arracher « un cessez-le-feu le plus rapidement possible » lors de ce sommet.

La chancelière allemande Angela Merkel, par la voix d’une porte-parole, a demandé aux deux dirigeants d’établir une zone de sécurité dans la région pour assurer l’approvisionnement des populations déplacées.