(Téhéran) Téhéran a annoncé mardi des arrestations dans le cadre de l’enquête sur l’avion civil ukrainien abattu en Iran, où des manifestations ont eu lieu pour le quatrième jour dans le sillage de l’indignation provoquée par ce drame.  

Après deux jours de démentis officiels de la thèse selon laquelle un missile avait été tiré sur le Boeing 737 d’Ukraine International Airlines, les forces armées iraniennes ont reconnu samedi leur responsabilité, en évoquant une « erreur humaine ».

Les 176 personnes à bord, en majorité des Iraniens et des Canadiens, sont décédées.

PHOTO EBRAHIM NOROOZI, ASSOCIATED PRESS

La scène de l’écrasement du Boeing 737 d’Ukrainien International Airlines, le 8 janvier dernier

Cette annonce a provoqué une vague de colère en Iran, où des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent samedi des manifestations rythmées par des slogans hostiles aux autorités, y compris au clergé chiite.

Selon de nouvelles images, impossibles à authentifier immédiatement, de nouvelles manifestations ont eu lieu mardi soir, dans des universités à Téhéran et des affrontements pourraient avoir eu lieu entre des étudiants et des Bassidji (volontaires musulmans loyalistes).

Face-à-face tendu

Dans l’après-midi, quelque 200 étudiants, pour la plupart masqués, s’étaient livrés à un face-à-face tendu avec des Bassidji, avait constaté l’AFP.

PHOTO ATTA KENARE, AFP

Les Bassidji criaient « Mort au Royaume-Uni » et brûlaient l’effigie en carton de l’ambassadeur britannique Rob Macaire, brièvement arrêté samedi et accusé par Téhéran d’avoir participé à une manifestation interdite, ce qu’il dément.

Maintenus à distance par les forces de l’ordre, les deux groupes avaient fini par se disperser.

Selon des journalistes de l’AFP, le dispositif policier a été nettement réduit mardi à Téhéran. Internet était nettement perturbé.

Fait extrêmement rare, l’agence de presse Fars, proche des ultraconservateurs, avait rapporté lundi que les contestataires avaient crié la veille « Mort au dictateur ! » et scandé des slogans hostiles aux Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne.

Selon l’Autorité judiciaire, une trentaine de personnes ont été arrêtées entre samedi et lundi.

« Vous restez muets ! »

Un groupe de journalistes réformateurs de Téhéran a publié un communiqué dénonçant le manque de liberté de la presse et des médias officiels.

« Nous assistons aux funérailles de la confiance du public », dénonce le texte dont s’est fait écho l’agence officielle Irna.

« A l’heure où vous devez venir pour présenter des excuses et des explications, vous restez muets ! Pourquoi nous couvrez-vous de honte devant l’audience ? », a tweeté Elmira Sharifi, un des visages de l’information à la télévision d’État.

Le journal Hamshahri, plus grand tirage de la presse iranienne, rapporte une « vague de protestation d’artistes face (au drame) de l’avion et à la façon (dont le peuple a été) informé », ajoutant qu’ils ont annulé leur participation aux festivals de Fajr qui ont lieu en février à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution islamique.

Pour Mehdi Rahmanian, directeur de la publication du quotidien réformateur Shargh, « les responsables seront obligés de parler aux gens plus honnêtement », a-t-il estimé auprès de l’AFP.

M. Rahmanian a aussi noté que l’attitude des forces de l’ordre s’était « améliorée par rapport au passé ». Le mois dernier, la répression de manifestations liées au coût de la vie avait fait au moins 300 morts, selon l’ONG Amnistie internationale.

L’Autorité judiciaire a par ailleurs annoncé mardi des arrestations (en nombre non précisé) dans le cadre de la « vaste enquête » menée pour déterminer les responsabilités après le crash.

Le président Hassan Rohani a réaffirmé que son pays devait « punir » tous les responsables du drame. « Il est très important […] que quiconque ait été fautif ou négligent » soit poursuivi, a-t-il dit.

AP

Le président iranien Hassan Rohani

M. Rohani a demandé la formation d’un « tribunal spécial avec des juges de haut rang et des dizaines d’experts ». « Le monde entier va regarder », a-t-il averti.

« Conséquences »

L’Iran a déjà invité des experts du Canada, de France, d’Ukraine et des États-Unis à participer à l’enquête.

Lors d’un entretien téléphonique, le premier ministre canadien Justin Trudeau a demandé au président ukrainien Volodymyr Zelensky de l’aider à établir un dialogue avec les autorités iraniennes –  – avec qui Ottawa a rompu ses relations en 2012 – pour que celles-ci identifient les corps des victimes canadiennes.

Sur un autre dossier, les pays européens parties à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien – France, Royaume-Uni, Allemagne – ont déclenché mardi le mécanisme de règlement des différends prévu dans le texte afin de contraindre Téhéran à revenir au respect de ses engagements.

Les Européens ont dit ne pas se joindre pour autant à « la campagne » de « pression maximale contre l’Iran », mais Téhéran, qui s’est affranchi de plusieurs de ses engagements depuis plusieurs mois (en riposte au retrait américain de l’accord) les a mis en garde contre les « conséquences » de leur décision.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, chargé de superviser ce mécanisme, a appelé tous les signataires, dont Téhéran, à préserver l’accord, « impossible » à remplacer.

La catastrophe aérienne du 8 janvier est survenue en plein pic des tensions entre Téhéran et Washington, après l’élimination de Qassem Soleimani, un important général iranien tué par un tir de drone américain le 3 janvier à Bagdad.

Cette opération a été suivie le 8 janvier de tirs de missiles iraniens contre deux bases militaires utilisées par l’armée américaine en Irak, sans faire de victimes.

Quelques heures plus tard, l’avion ukrainien était abattu « par erreur » par un missile iranien alors que la défense du pays était en état d’alerte « guerre ».