(Ryad) En assassinant un haut gradé iranien, les États-Unis ont exposé leur allié saoudien à des représailles de Téhéran au moment même où Riyad s’efforce de calmer la crise régionale après des mois de fortes tensions, estiment des analystes.

Selon des responsables américains, l’Arabie saoudite se trouve confrontée à un « risque accru » d’attaques aux drones et aux missiles après l’assassinat vendredi à Bagdad du puissant général iranien Qassem Soleimani, artisan de la stratégie d’influence de la République islamique au Moyen-Orient.

Cet assassinat, ordonné par le président américain Donald Trump, fait craindre une déflagration régionale, Téhéran ayant menacé de venger la mort de Soleimani, chef de la Force Qods, unité d’élite chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution (l’armée idéologique iranienne).

Riyad a tenté de prendre ses distances avec Washington, un responsable saoudien ayant déclaré à l’AFP que son pays « n’a pas été consulté » avant la frappe américaine. Son ministre des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhane, a qualifié lundi la situation de « très dangereuse ».

De journaux saoudiens ont cherché à mettre en cause Doha, en affirmant que le drone qui a abattu le général Soleimani a décollé d’une base américaine au Qatar, en occultant le fait que le royaume lui-même accueille des troupes américaines.

Une délégation saoudienne conduite par le prince Khaled ben Salmane, vice-ministre de la Défense, est arrivée lundi à Washington pour plaider la désescalade, après que le roi Salmane a souhaité des mesures urgentes pour « désamorcer » les tensions.

« Il est assez clair que les Saoudiens ne se réjouissent pas de cette crise, même s’ils doivent se réjouir du meurtre de Soleimani », déclare à l’AFP Hussein Ibish, de l’Arab Gulf Institute basé à Washington.

« Ils savent qu’ils seraient pris dans un feu croisé si la guerre éclate et ils font tout pour faire baisser la température », ajoute-t-il.

« Frappes asymétriques »

Ces derniers mois, l’Arabie saoudite et son ennemi juré, l’Iran, ont amorcé sous l’égide de l’Irak des contacts pour désamorcer les tensions qui ont failli dégénérer en affrontement.

Le premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a déclaré dimanche qu’il devait rencontrer le général Soleimani le jour de son assassinat, affirmant que le haut gradé iranien était porteur d’une réponse de Téhéran à un message antérieur de l’Arabie saoudite.

Des analystes s’étaient inquiétés du fait de voir les dirigeants saoudiens, frustrés de la politique de l’ancien président américain Barack Obama jugée conciliante envers l’Iran, entraîner par l’administration Trump dans un autre conflit au Moyen-Orient.

Mais Riyad semble avoir changé d’attitude après les attaques contre ses installations pétrolières, qui ont été imputées à l’Iran.

La réponse tiède de Washington aux frappes du 14 septembre a confirmé la crainte du royaume de ne pas pouvoir compter sur son plus proche allié en cas de conflit régional, selon des experts.

« L’attaque a démontré l’incapacité de ce pays à protéger ses infrastructures essentielles contre des frappes asymétriques », souligne à l’AFP Kristian Ulrichsen, de l’Institut Baker dépendant de l’université Rice aux États-Unis.

« Les Saoudiens et leurs alliés des Émirats arabes unis, qui préparent des événements internationaux - le sommet du G20 à Riyad et l’Exposition universelle 2020 à Dubaï -, cherchent désespérément à éviter toute escalade », observe-t-il.

« Récompense »

Riyad tente par ailleurs de se défaire d’autres crises régionales et a annoncé maintenir un canal de discussions avec les rebelles Houthis pro-iraniens au Yémen, qu’il combat depuis près de cinq ans.

Riyad est également en pourparlers avec le Qatar sur les moyens d’alléger le blocus qu’il impose, avec ses alliés, à ce pays depuis juin 2017.

« L’assassinat de Soleimani […] menace de mettre fin à ces progrès », dit à l’AFP Stephen Seche, vice-président de l’Arab Gulf States Institute de Washington.

Selon lui, les dirigeants Houthis les plus proches de Téhéran seraient tentés de « frapper profondément l’Arabie saoudite, ce qui ferait presque certainement échouer l’initiative de paix en cours ».

Les Houthis ont appelé à des « représailles rapides » à l’assassinat du général Soleimani et exprimé leur solidarité avec Téhéran.

Pour Ryan Bohl du groupe de réflexion américain Stratfor, l’Iran serait tenté de frapper une cible américaine.

Téhéran peut trouver « un moyen de le faire sans nécessairement toucher à l’Arabie saoudite », déclare le chercheur à l’AFP, comme « une récompense pour Riyad pour avoir engagé des contacts » avec l’Iran.