(Bagdad) Donald Trump voulait briser la colonne vertébrale du camp chiite antiaméricain au Moyen-Orient en assassinant Qassem Soleimani, l’architecte de la stratégie iranienne dans la région, mais cette frappe a unifié et même élargi les rangs du réseau de la « résistance », selon des experts.

De Beyrouth à Téhéran, le choc a été immense lorsque la nouvelle de l’assassinat en Irak de Soleimani et de son lieutenant Abou Mehdi al-Mouhandis est tombée.  

Mais il a été bref et les factions armées irakiennes ont aussitôt repris leurs armes et leurs discours contre les États-Unis, remisés seulement depuis le départ des Américains après huit années d’occupation.

« Il pourrait y avoir une consolidation des rangs, notamment au niveau confessionnel, et cette décision de Donald Trump sera considérée assez vite comme contre-productive », affirme à l’AFP le spécialiste du Moyen-Orient Karim Bitar.

Lors de la guerre contre le groupe État islamique (EI), les factions pro-Iran, désormais intégrées aux forces régulières irakiennes au sein du Hachd al-Chaabi, ont combattu du même côté que les soldats américains.  

Mais aujourd’hui, l’EI défait et les Américains frappant des bases et des commandants du Hachd, la rhétorique anti-américaine des pro-Iran trouve plus d’écho.

« Résistance internationale »

Les Brigades du Hezbollah, branche la plus radicale du Hachd, ont promis « le début de la fin de la présence américaine dans toute la région ».

En outre, le leader chiite Moqtada Sadr a réactivé son Armée du Mehdi, qui a tué des dizaines de soldats américains lors de l’occupation avant d’être réprimée et dissoute.

Il a appelé « toutes les factions irakiennes de la résistance […] à former immédiatement “les bataillons de la résistance internationale” ».

Son ancien lieutenant Qaïs al-Khazali, qui était devenu son grand ennemi personnel, est aujourd’hui sur la même ligne. Chef du groupe Assaïb Ahl al-Haq, il a promis aux Américains de déchaîner « l’enfer au-dessus de leurs têtes ».

Fait inédit, le grand ayatollah Ali Sistani, dont l’école chiite de Najaf est historiquement la rivale de Qom dont se réclame le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a pour la première fois envoyé un message de condoléances à l’Iran.  

Les députés chiites, qui depuis des mois s’écharpent sur la nomination du futur premier ministre, sont tous tombés d’accord dimanche : ils ont appelé le gouvernement à expulser les troupes étrangères d’Irak.

Les minorités, elles, sont restées à l’écart. Les députés kurdes ont tous boycotté et les sunnites n’ont envoyé que quelques représentants.

Après s’être divisés autour des gains politiques nés de la victoire sur l’EI en Irak, les partis et les factions pro-Iran « ont resserré leurs rangs et changé l’ordre de leurs priorités », affirme Qassem Qassir, spécialiste des mouvements islamistes.

« La priorité pour la résistance est de combattre les États-Unis », explique-t-il à l’AFP. Dans ce contexte, « assassiner Soleimani est une erreur stratégique car la réponse viendra de l’ensemble de la région et pas uniquement d’Irak ».

Désormais, les discours sont les mêmes à Téhéran, Damas ou Beyrouth, le traditionnel « axe de la résistance » renforcé par des décennies de déplacements et de réunions stratégiques du général Soleimani. Mais aussi au Yémen et dans la bande de Gaza, respectivement frontaliers de l’Arabie saoudite et d’Israël, deux grands alliés des États-Unis au Moyen-Orient.

« Épée de Damoclès » qui ressoude

Dans la bande de Gaza, si les petits partis islamistes ont toujours été proches de l’Iran, même le Hamas au pouvoir, un temps à couteaux tirés avec Téhéran, a qualifié l’assassinat de Soleimani d’« orgie de violence américaine » contre un homme ayant « joué un rôle de soutien majeur à la résistance palestinienne ».

Au Yémen, les rebelles Houthis, soutenus par Téhéran, ont réclamé des « représailles rapides et directes ».

Pour Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah libanais, l’assassinat de Soleimani « n’est pas qu’une affaire iranienne, il concerne tout l’axe de la résistance ». Il a prévenu que « s’il n’y a pas de réponse à cet assassinat, cela créera un précédent dangereux ».

Si le pari de Washington était d’attirer à lui les forces qui tentent de résister à la mainmise de Téhéran, il a échoué, assurent les observateurs.

« Cette épée de Damoclès qui pèse au-dessus de l’Iran, ces risques d’intervention étrangère vont ressouder les Iraniens […] aussi bien les opposants que les sympathisants du régime et cela va forcément se répercuter en Irak », affirme M. Bitar.

En Iran, mais aussi au Liban et en Irak, « les questions économiques, sociales et culturelles seront reléguées à l’arrière-plan face à l’urgence sécuritaire ».

Téhéran va alors « en profiter pour tenter d’étouffer dans l’œuf les mouvements de protestation en Irak et au Liban » qui conspuent depuis plusieurs mois les dirigeants qu’il appuie de longue date.