La famille de Hussein Abu al-Khair, un Jordanien condamné à mort en Arabie saoudite il y a cinq ans après la découverte de milliers de pilules d’amphétamine dans son véhicule, crie à l’erreur judiciaire et plaide pour sa libération.

« Ce qui arrive à Hussein est injuste. C’est injuste pour lui et pour toute sa famille, pour moi, pour mes frères et sœurs. C’est inhumain », commente en entrevue avec La Presse l’une de ses sœurs, Zeinab, qui vit depuis plusieurs années à Gatineau.

Elle affirme que l’homme de 55 ans, à qui elle a pu parler quelques minutes lundi au téléphone après des mois de silence, est « profondément déprimé » par sa détention prolongée et la peur d’être exécuté.

Les démêlés du père de huit enfants ont débuté en 2014. Il travaillait depuis peu comme chauffeur pour une femme d’origine saoudienne et a été intercepté alors qu’il passait la frontière en voiture.

Le ressortissant jordanien a été placé en détention après la découverte de la drogue par des douaniers saoudiens. Selon sa famille, il a été longuement torturé et s’est résigné, au bout d’une douzaine de jours, à signer une déclaration dans laquelle il se reconnaissait coupable de trafic.

Il a signé même s’il ne savait pas que la voiture contenait de la drogue pour « avoir la chance de se rendre vivant devant un juge et plaider son innocence », relate Zeinab Abu al-Khair.

Son frère, dit-elle, a dû être victime de trafiquants qui ont caché les pilules à son insu, sachant qu’il devait se rendre en Arabie saoudite.

PHOTO FOURNIE PAR ZEINAB ABU AL-KHAIR

Hussein Abu al-Khair

« Sa voiture était stationnée sur la rue, pas dans un garage », explique la sœur du détenu, qui a tenté en vain devant les tribunaux de faire valoir que ses aveux lui avaient été arrachés sous la torture et n’avaient aucune valeur.

Recours à la torture en Arabie saoudite

Catriona Harris, une juriste de l’organisation anglaise Reprieve qui soutient la famille, relève que le recours à la torture contre des prévenus est « relativement répandu » en Arabie saoudite, « particulièrement pour des travailleurs migrants ».

Le cas de Hussein Abu al-Khair est rendu encore plus problématique, dit-elle, par le fait qu’il n’a jamais pu bénéficier des services d’un avocat.

La Cour suprême a renversé en 2017 le verdict de culpabilité qui avait été rendu à son encontre en janvier 2015, mais le gouvernement a demandé la tenue d’un autre procès à l’issue duquel il a de nouveau été trouvé coupable et condamné à mort par décapitation.

Selon Reprieve, le tribunal s’est de nouveau basé sur la déclaration qui avait été signée sous la torture. L’appel subséquent a été rejeté, épuisant les recours potentiels pour empêcher l’exécution, pour lequel aucune date n’a été fixée.

Le système judiciaire saoudien est une sorte de trou noir. Il n’y a pas beaucoup de transparence.

Catriona Harris, juriste de l’organisation anglaise Reprieve

Peine de mort

Après l’annonce de sa première condamnation à mort, des rapporteurs spéciaux des Nations unies avaient écrit aux autorités saoudiennes pour dénoncer les irrégularités observées, relevant que la mise à mort de Hussein Abu al-Khair correspondrait à une forme d’exécution extrajudiciaire.

La European-Saudi Organisation for Human Rights (ESOHR), qui suit le dossier depuis plusieurs années, estime que sa condamnation contrevient aux lois saoudiennes assurant, en théorie, l’accès à un procès équitable.

L’organisation plaide par ailleurs pour que le régime saoudien cesse d’appliquer la peine de mort à des crimes liés au trafic de drogue.

Le prince héritier Mohammed Ben Salmane avait laissé entendre il y a quelques années dans une entrevue à la revue Time que la peine capitale pourrait cesser de s’appliquer à certaines catégories de crime sans préciser ses intentions.

Non moins de 185 exécutions, y compris 82 pour des crimes liés au trafic de la drogue, ont cependant été recensées l’année suivante, selon Reprieve.

Mme Harris note qu’un nombre disproportionné des personnes exécutées sont des travailleurs migrants comme Hussein Abu al-Khair qui sont mal outillés pour manœuvrer les arcanes du système judiciaire.

Un haut responsable du régime a relancé, l’été dernier, l’idée que la peine de mort pourrait cesser de s’appliquer pour des crimes non violents liés au trafic de la drogue.

Un moratoire à ce sujet semble s’être mis en place depuis plusieurs mois, mais rien n’a encore été formalisé, laissant les personnes déjà condamnées dans l’incertitude.

Une telle réforme pourrait être considérée à Riyad comme une avenue potentielle pour tenter de redorer l’image du pays, mise à mal notamment par l’exécution hautement médiatisée en octobre 2018 du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul.

Le régime a évoqué la possibilité de réformes judiciaires à l’approche du sommet du G20 qui doit se tenir en Arabie saoudite dans quelques jours.

Zeinab Abu al-Khair a écrit il y a quelques années au gouvernement canadien pour solliciter son aide dans la défense de son frère, mais la démarche est restée sans suite.

La demande de pardon adressée parallèlement au roi saoudien Salmane ben Abdelaziz Al Saoud n’a pas non plus donné le résultat espéré.

« Ils l’ont peut-être lancée dans les poubelles. Si ça ne fonctionne pas, il ne nous restera plus qu’à espérer un miracle », souligne la sœur de Hussein Abu al-Khair.