(Washington) L’accord entre Israël et les Émirats arabes unis a offert aux États-Unis une rare percée diplomatique dans la région, mais c’est en fait l’Iran qui est dans le viseur de Donald Trump, avec une stratégie délicate qui passe maintenant par l’ONU.

La Maison-Blanche n’a pas lésiné sur les superlatifs pour mettre en avant un succès de politique étrangère dont le milliardaire républicain avait bien besoin à moins de trois mois de l’élection présidentielle, après avoir échoué à résoudre les crises avec l’Iran, la Corée du Nord ou encore le Venezuela.

« C’est une percée spectaculaire qui rendra le Moyen-Orient plus sûr », s’est félicité le négociateur américain Jared Kushner, en assurant que cela permettrait à terme de réduire la présence de l’US Army – une vieille promesse trumpiste.

Les Émirats arabes unis et Israël ont convenu jeudi de normaliser leurs relations, dans le cadre d’un accord historique négocié par les États-Unis et qui, une fois signé, ferait d’Abou Dabi le troisième pays arabe seulement à suivre cette voie depuis la création de l’État hébreu, après l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994.

C’est donc de fait une première depuis plus de vingt ans, après un relatif désengagement sur ce front sous les précédentes administrations américaines.

« Première fois »

« Si l’accord se concrétise, c’est significatif, car ce sera la première fois qu’un pays du Golfe normalise ses relations avec Israël », acquiesce l’ex diplomate américain Aaron David Miller, qui fut négociateur dans le conflit israélo-palestinien sous des gouvernements démocrates comme républicains.

« Mais il ne faut pas en exagérer la portée : on parle des Émirats, pas du pays arabe le plus puissant au monde, comme l’Égypte », « ni même d’un pays frontalier d’Israël », dit à l’AFP cet expert aujourd’hui chercheur au cercle de réflexion Carnegie Endowment for International Peace.

Pour Barbara Slavin, de l’Atlantic Council, un autre groupe de réflexion de Washington, « c’est une avancée intéressante, mais pas fracassante, au vu des liens que les deux pays avaient déjà noués de manière officieuse depuis très longtemps ».

Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, en 2017, Donald Trump avait promis de résoudre l’inextricable conflit israélo-palestinien, et avait confié à son gendre Jared Kushner la tâche de proposer un accord de paix. Mais les Palestiniens ont rapidement coupé les ponts avec l’administration américaine pour protester contre ses décisions jugées ostensiblement pro-israéliennes, et ont catégoriquement rejeté la « vision pour la paix » présentée en début d’année.

L’accord annoncé jeudi remet-il en selle ce projet ?

« Les motivations du gouvernement n’ont rien à voir avec la paix israélo-palestinienne », tranche Aaron David Miller comme beaucoup d’autres analystes.

« Coalition anti-Iran »

« C’est pour la politique intérieure, pour donner une bonne image du président, afficher un peu de compétence et tenir un tant soit peu la promesse faite depuis le début, c’est-à-dire faire la paix entre Israël et le monde arabe », ajoute-t-il.

Surtout, « cela aide à donner de la consistance à l’image selon laquelle il y aurait une coalition anti-Iran », explique l’ex-diplomate, tout en précisant que sur le plan opérationnel, cette « alliance » présumée n’apporte pas grand-chose pour contrer Téhéran et que la vraie portée de l’accord dépendra de son éventuelle imitation par d’autres pays arabes comme le Maroc, Bahreïn ou Oman.

Donald Trump et son équipe diplomatique ne cachent pas depuis 2017 que l’essentiel de leur stratégie moyen-orientale a un but : endiguer la République islamique d’Iran.

À plusieurs reprises, ils ont plaidé pour une « OTAN du Moyen-Orient » qui tarde toutefois à se concrétiser.

D’autant que, côté occidental, Washington reste très isolé face à Téhéran depuis que Donald Trump a claqué la porte, en 2018, de l’accord international signé trois ans plus tôt pour empêcher l’avènement d’une bombe atomique iranienne.

Cet isolement devait encore éclater au grand jour vendredi au Conseil de sécurité de l’ONU : les États-Unis ont soumis au vote une résolution pour prolonger l’embargo sur la vente d’armes conventionnelles à l’Iran, qui expire en octobre, mais ne devraient même pas réunir les neuf voix sur quinze qui contraindraient la Chine et la Russie à mettre leur veto.

Dans la foulée, la diplomatie américaine devrait tenter une manœuvre juridique controversée pour obliger unilatéralement le Conseil de sécurité à rétablir les sanctions onusiennes contre Téhéran levées en 2015 – au nom de l’accord nucléaire qu’ils ont pourtant abandonné.

L’accord Émirats-Israël « ne change absolument rien », dit Barbara Slavin. « Les États-Unis restent dans une position de faiblesse et juridiquement douteuse ».