Mardi, 18 h 08. Une explosion secoue Beyrouth à partir du port de la capitale libanaise. Quelques secondes plus tard, une seconde explosion, celle-là démesurée, dévastatrice, ravage vies et bâtiments sur des kilomètres à la ronde.

Au moins 100 personnes sont mortes et 4000 ont été blessées. Parmi elles, Rana Dirani, qui se trouvait à moins de 2 km de l’endroit en compagnie de son père.

« Nous avons volé dans les airs », a confié en pleurant la fondatrice d’une école de langue arabe, jointe quelques heures plus tard. Visiblement secouée, elle n’était pas capable d’expliquer à La Presse la nature de leurs blessures, mais parlait de coupures.

« On a tout perdu, tout a été détruit. Mais ce n’est rien comparé au nombre de morts », souligne-t-elle, consciente de la chance qu’elle a eue.

Walid Merhi habite le quartier Karantina, situé en bordure du port, à un jet de pierre du lieu de l’explosion. Il était à la maison familiale avec ses parents, ses deux frères et sa sœur quand tout a basculé.

« On a entendu une première explosion. Ma mère s’est levée pour allumer la télé et elle n’a même pas eu le temps de se rasseoir. Il y a eu le bruit catastrophique ! Les fenêtres, les portes, les rideaux, la télévision, tout a été soufflé ! », a raconté le jeune homme de 18 ans, en entretien vidéo avec La Presse.

PHOTO FOURINE PAR WALID MERHI

Walid Merhi

N’ayant plus de fenêtres ni de portes, la famille de Walid a trouvé refuge chez un oncle, qui habite plus loin du secteur névralgique. En traversant Beyrouth, le jeune homme a été témoin de l’horreur.

Ça sent l’acide ! L’air est rempli de gaz toxiques. Partout dans Beyrouth, tu entends les ambulances, tu entends les gens crier. Il y a beaucoup de gens perdus, blessés, morts.

Walid Merhi, Beyrouthin

À 2 h du matin, il ne dort toujours pas ; l’adrénaline ne quitte pas son corps, et les messages ne dérougissent pas sur son téléphone. Encore secoué, il raconte que sa sœur et son frère ont été blessés : elle au visage, lui à la tête par des morceaux de vitre.

PHOTO FOURNIE PAR WALID MERHI

L’un des frères de Walid Merhi

La mère d’une amie est morte, écrasée par son lustre qui s’est détaché du plafond secoué par la détonation.

« Ma sœur et mon frère ont fait six hôpitaux et aucun d’entre eux ne les laissait entrer. Le septième, l’hôpital Clémenceau, avait finalement de la place pour les soigner », a raconté Walid.

PHOTO FOURNIE PAR WALID MERHI

Sœur de Walid Merhi

Les hôpitaux de la capitale libanaise étaient déjà contingentés en raison de la COVID-19. Avec plus de 3000 blessés, ils ne pouvaient simplement pas répondre à la demande et redirigeaient des patients en périphérie de Beyrouth.

La substance identifiée

Environ 2750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans l’entrepôt du port de Beyrouth seraient à l’origine des explosions, ont annoncé mardi les autorités, sans donner plus de détails sur les causes exactes.

Le premier ministre du Liban, Hassan Diab, a dénoncé la « catastrophe », assurant que les responsables devraient « rendre des comptes ».

Parmi les victimes des explosions, on compterait l’ancien résidant de Montréal Nazar Najarian, homme d’affaires qui a été secrétaire général du parti Kataëb.

« C’est assez dur à croire, c’était un homme exceptionnel, un grand homme », a réagi la Montréalaise d’origine libanaise Lamia Charlebois, qui l’a décrit comme un ami.

« C’est devenu noir »

Les images tournées à différents endroits de la capitale libanaise montrent une fumée dense s’élevant du port de Beyrouth, à travers laquelle fusent des éclairs de lumière et des flammes. Une puissante explosion survient ensuite, soulevant l’eau de la mer et créant un épais nuage dans le ciel.

Grace, qui n’a pas voulu donner son nom de famille, revenait de la plage avec une amie au moment de l’explosion. Au volant de sa voiture, elle venait tout juste de dépasser le port, coincée dans un embouteillage.

« Je voyais les gens qui photographiaient [le port] et je me suis dit, ‟c’est banal”, je pensais que c’était juste un petit incendie », a dit la travailleuse du milieu de l’éducation âgée de 43 ans.

Même pas une minute après, c’est devenu noir comme le soir, puis c’était le jour, et il y a eu l’explosion. J’ai pensé que c’était quelque chose à la Terre et qu’on allait tous mourir.

Grace

Son amie et elle s’en sont sorties indemnes physiquement. « J’ai remercié Dieu, j’ai regardé mon amie et je pleurais et je riais en même temps, sans m’en rendre compte, en disant : ‟Nous ne sommes pas mortes”. Mon amie ne disait rien, elle était sous le choc », a raconté la femme, un trémolo dans la voix.

L’explosion a été tellement forte qu’elle a été ressentie sur plusieurs kilomètres, comme l’ont confié à La Presse différentes personnes sur place.

Abdallah Sfeir, étudiant de 28 ans, habite dans un village à environ 25 km au nord de la ville, dans les montagnes, mais a tout de même ressenti le souffle de l’explosion.

« Je regardais la télévision, avec les fenêtres ouvertes, parce qu’il faisait chaud, et j’ai entendu quelque chose, comme de l’air qui rentrait d’un coup, a-t-il confié au téléphone. Je savais que quelque chose n’allait pas. »

La déflagration a soufflé le verre des fenêtres sur plusieurs kilomètres à la ronde. « Chez nous, les fenêtres étaient ouvertes, mais il y a beaucoup de verre brisé partout autour », a témoigné Cyrine Farhat, qui habite dans la banlieue sud.

Défi des secours

L’étendue des répercussions a ajouté aux défis des secours. L’Agence France-Presse a rapporté de nombreux habitants, certains blessés, marchant vers les hôpitaux de la ville.

« Il n’y a pas beaucoup d’ambulances, il y a un nombre énorme de blessés. Avec les pannes d’électricité, la circulation est difficile », a dit Wajdi Ghorayeb. Cet ancien secouriste pendant la guerre du Liban, aujourd’hui installé au Québec, est président du Comité de soutien à la Croix-Rouge libanaise. Les nouvelles de mardi lui ont rappelé « de mauvais souvenirs ».

Une forte explosion comme ça, il y a plein de matériel qui tombe, du bois, du métal, des vitres qui cassent, ça affecte les pneus, c’est difficile de circuler.

Wajdi Ghorayeb

Il était en contact avec sa famille, qui vit dans un quartier près du centre-ville. Comme bien des Libanais de la diaspora, il a tenté de joindre ses proches dès la diffusion des premières informations.

L’explosion semblait plus forte que celle vécue pendant la guerre, selon ses souvenirs.

La pandémie ajoute aux difficultés des soins prodigués aux blessés. « Le défi, c’est le manque de ressources, a noté Lionel Haddad, ancien coordonnateur de gestion de crise au Liban, aujourd’hui installé au Québec. Et les gens n’ont pas le temps de mettre l’équipement de protection individuelle, ils doivent traiter rapidement. »

Il n’a pas voulu s’avancer sur les causes possibles, mais estimait qu’il semblait y avoir eu éclatement d’un « composé azoté ». « À première vue, ce qu’on peut dire, c’est que c’est une catastrophe, a-t-il dit. On essaie de comprendre ce qui se passe. »

Le Liban déjà en situation de crise

Le Liban se débat déjà depuis plusieurs mois avec sa pire crise économique depuis des décennies, alors que l’inflation a fait bondir les prix des produits de base et qu’un grand nombre de personnes ont perdu leur emploi.

« Je ne sais pas pourquoi tant de choses arrivent, a souligné Abdallah Sfeir. L’année 2020 est catastrophique. Avec la crise politique, la crise économique, la COVID, le port qui est maintenant détruit… […] Je ne sais pas ce qui nous attend. »

Il se souvient de l’attentat retentissant de Rafic Hariri dans le centre-ville en 2005, qui avait fait 21 morts et plus de 200 blessés. « Mais je n’avais jamais entendu quelque chose comme [mardi] avant, c’était de loin l’explosion la plus terrifiante », a confié le jeune homme.

PHOTO JOSEPH BARRAK, AGENCE FRANCE-PRESSE

Policier sur le site de l’explosion qui a tué l’ex-premier ministre du Liban Rafiq Hariri, le 14 février 2005

Dans la dernière semaine, le ton était monté entre Israël et le Hezbollah libanais. « Israël n’a rien à voir avec cet évènement », a dit à l’AFP une source gouvernementale ayant requis l’anonymat. L’État hébreu a proposé mardi soir une aide humanitaire au Liban, pays voisin avec lequel il est techniquement en état de guerre.

Le premier ministre libanais avait lancé un appel aux « pays amis » à aider le Liban plus tôt dans la journée.

« Les Canadiens sont de tout cœur avec les Libanais aujourd’hui », a déclaré le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, ajoutant : « On est prêts à vous aider ».

Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé l’acheminement de « secours et moyens français » à Beyrouth.

Du côté des États-Unis, le président Donald Trump a aussi dit que son pays se « tenait prêt » à donner son aide.

– Avec l’Agence France-Presse