(Kaboul) Le président afghan Ashraf Ghani a rejeté dimanche l’un des principaux éléments de l’accord signé samedi par les États-Unis et les talibans, montrant combien il sera difficile pour Kaboul et les insurgés de s’entendre en vue d’établir la paix.

Le chef de l’État, dont le gouvernement a toujours été tenu à l’écart de ces négociations bilatérales par les talibans, s’est opposé à la libération de 5000 prisonniers en échange de celle de 1000 membres des forces afghanes détenus par les rebelles.

Cet « objectif » que Washington s’est « engagé à atteindre » dans l’accord avec les talibans, non ratifié par Kaboul, devrait intervenir d’ici au 10 mars, quand doivent commencer des négociations inter-afghanes, et devait servir à « renforcer la confiance » entre les deux parties, d’après ce texte.

De telles demandes « ne relèvent pas de l’autorité des États-Unis », a objecté M. Ghani. Il n’y a donc « pas d’engagement à libérer 5000 prisonniers », a-t-il insisté, ajoutant que si une telle mesure « fait partie de l’ordre du jour des discussions intra-afghanes », elle ne peut « être un prérequis pour des discussions ».

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Le président afghan, Ashraf Ghani

Le président Ghani a cependant annoncé sur Twitter dimanche qu’il avait été « félicité » par téléphone par le président américain Donald Trump à propos « des avancées importantes d’hier dans le processus de paix ».

M. Ghani, affaibli en interne, sa réélection proclamée le 19 février étant contestée par son principal rival Abdullah Abdullah, a toutefois annoncé la prolongation de la trêve partielle en Afghanistan, « avec pour but d’atteindre un cessez-le-feu complet ».

Les talibans n’ont pas souhaité réagir à ses déclarations.

Cette diminution dans l’intensité des combats, entamée le 22 février et dont Washington avait fait un préalable à la signature de l’accord de Doha samedi, a été de l’avis général un succès, le nombre des attaques s’effondrant pendant une semaine dans ce pays en guerre.

Impréparation

Mais rien ne garantit qu’elle se poursuive d’ici au 10 mars, quand les talibans, le gouvernement afghan, son opposition et la société civile doivent commencer à se rencontrer pour tenter de s’accorder sur l’avenir de l’Afghanistan.

D’après l’accord de Doha, un éventuel cessez-le-feu n’est en effet qu’un « élément » des discussions à venir et non une obligation pour que celles-ci se déroulent.

« Le plus grand défi à l’heure actuelle est le manque de préparation du gouvernement afghan », plus focalisé sur les bisbilles politiques internes que sur les pourparlers à venir, a déclaré à l’AFP Vanda Felbab-Brown, analyste à la Brookings Institution, un centre de recherche américain.

« Il faudrait beaucoup de chance pour qu’un accord soit signé avec les talibans dans 14 mois », a-t-elle ajouté, faisant allusion au calendrier du retrait des forces étrangères validé par les États-Unis.

Samedi, Washington s’est ainsi engagé à ce que ses forces déployées en Afghanistan passent de 12 ou 13 000 à 8600 sous 135 jours et que l’ensemble des soldats étrangers aient quitté ce pays dans les 14 mois, en échange de garanties sécuritaires des talibans.

Parmi celles-ci, les insurgés ont accepté d’empêcher des groupes tels qu’Al-Qaïda de faire de l’Afghanistan une base leur permettant de menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés.

« Détendu »

Si les talibans affirment qu’ils empêcheront ces groupes de « recruter, entraîner ou lever des fonds », l’accord ne leur demande nullement de désavouer publiquement Al-Qaïda ou de couper officiellement les ponts avec cette organisation.

C’est pourtant le fait qu’ils hébergeaient Oussama ben Laden et ses hommes quand ils régnaient sur l’Afghanistan entre 1996 et 2001 qui a poussé une coalition internationale menée par les États-Unis à intervenir après les attentats du 11 septembre 2001, les chassant du pouvoir.

Aucune mention des droits des femmes, réduits à néant sous le régime taliban, n’apparaît non plus dans l’accord de Doha.

Un flou « stratégique » entretenu par les insurgés, qui parlent de « droits des femmes selon l’Islam », commente Ashley Jackson, chercheuse à l’Overseas Development Institute, un groupe de réflexion dont le siège est à Londres.

Laurel Miller, la directrice pour l’Asie de l’ONG International crisis group, a toutefois qualifié l’accord de « première étape concrète dans le processus de paix afghan ». Mais « il reste à voir s’il tiendra et s’il produira une paix réelle en Afghanistan. »

En dépit de ces incertitudes, les habitants de Kaboul ne cachaient pas leur soulagement de pouvoir marcher dans les rues sans craindre d’attaques talibanes.

« Je me sens beaucoup plus […] détendu », confiait un policier ayant requis l’anonymat.

Dans la ville de Jalalabad (est), une dizaine de talibans ont donné leurs armes aux autorités au cours d’une cérémonie. « Nous sommes venus ici pour nous joindre au gouvernement, à la paix et au processus de réconciliation », a déclaré Atiqullah Jan, l’un de ces combattants.