(Istanbul) Les présidents russe Vladimir Poutine et turc Recep Tayyip Erdogan se sont entretenus vendredi pour tenter de maîtriser la brusque escalade dans le nord-ouest de la Syrie, après la mort de plus de trente soldats turcs dans des frappes du régime de Damas, auquel la Russie est alliée.

Après avoir essuyé ses plus lourdes pertes en une seule attaque depuis le début de son intervention en Syrie en 2016, la Turquie a réclamé le soutien de la communauté internationale, brandissant la menace d’un nouveau flux de migrants vers l’Europe.

Dans une gare routière à Istanbul, des dizaines de personnes, notamment des Afghans, s’entassaient dans des cars et des taxis à destination de la frontière grecque, où l’on pouvait voir des migrants marcher en file indienne au bord d’une route, selon l’AFP.

PHOTO BAKR ALKASEM,

Des combattants syriens soutenus par la Turquie dans une rue de Saraqeb

Jeudi, au moins 33 militaires sont morts dans des frappes aériennes attribuées par Ankara au régime syrien dans la région d’Idlib (nord-ouest de la Syrie). Les Turcs ont riposté, tuant 45 combattants syriens, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

Dix combattants du Hezbollah libanais qui luttent, selon l’OSDH, aux côtés des forces du régime syrien, ont été tués par des frappes turques près de Saraqeb, a-t-on ajouté de même source.

Par ailleurs, sept civils ont été tués dans des frappes attribuées à l’aviation russe, selon l’OSDH.

Vendredi, un soldat turc a été tué et un autre blessé dans le nord de la Syrie dans des tirs d’artillerie imputés par Ankara aux forces gouvernementales. La Turquie « continue en représailles de frapper des cibles du régime », a fait savoir le ministère de la Défense.

Cette poussée de fièvre risque d’aggraver la situation humanitaire déjà critique à Idlib, où près d’un million de personnes ont été déplacées ces derniers mois par l’offensive qu’y mène depuis décembre Damas.

La Russie est « prête à œuvrer à une désescalade avec tous ceux qui le souhaitent », a déclaré vendredi l’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité.

Il a réaffirmé que Moscou « n’avait pas participé aux attaques » de jeudi.

Une version mise en doute par un haut responsable américain qui, sous couvert d’anonymat, a affirmé que toutes les opérations militaires du régime syrien étaient étroitement coordonnées avec la Russie.

« La Russie est responsable de cette offensive. Point final », a déclaré ce responsable. Penser que les « pathétiques forces militaires d’Assad » aient pu seules attaquer les Turcs et les rebelles « est risible », a-t-il affirmé.

M. Erdogan et le président américain Donald Trump se sont mis d’accord au cours d’un entretien téléphonique pour « prendre immédiatement des mesures supplémentaires en vue d’éviter une grande tragédie humanitaire » à Idlib, selon Ankara.  

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« Les deux dirigeants ont convenu que le régime syrien, la Russie et le régime iranien devaient stopper leur offensive avant que d’autres civils ne soient tués et déplacés », a fait savoir la Maison-Blanche dans un communiqué.  

Rencontre Erdogan-Poutine

Dans la matinée, MM. Erdogan et Poutine ont eu une conversation téléphonique au cours de laquelle ils ont exprimé leur « sérieuse inquiétude » face à la situation à Idlib, a annoncé le Kremlin, ajoutant que ces deux dirigeants pourraient se rencontrer à Moscou la semaine prochaine.

Les affrontements entre forces turques et syriennes ont creusé un fossé entre la Turquie et la Russie, qui ont renforcé leur coopération depuis 2016 dans plusieurs domaines, comme le conflit syrien, la défense et l’énergie.

Vendredi, le ministère russe de la Défense a affirmé que les soldats turcs tués jeudi avaient été touchés, car ils se trouvaient parmi des « unités combattantes de groupes terroristes », une version fermement démentie par Ankara.

Se voulant plus apaisant, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a présenté ses « condoléances » et affirmé que Moscou faisait « tout pour assurer la sécurité des soldats turcs » déployés en Syrie.

De nouvelles discussions entre responsables turcs et russes sur Idlib se sont déroulées à Ankara vendredi.

Ankara a réclamé la mise en place une zone d’exclusion aérienne à Idlib pour clouer au sol les avions du régime syrien et de Moscou, une requête qui a peu de chances d’aboutir.

Frontières bouclées

Dans une apparente tentative de faire pression sur l’Union européenne pour obtenir davantage de soutien, la Turquie a déclaré qu’elle ne stopperait plus les migrants qui cherchent à se rendre en Europe à partir de son territoire, réveillant le spectre de la grave crise migratoire de 2015.

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan

Des images prises par des drones montraient des dizaines de migrants coupant à travers champs avec des sacs sur le dos ou sur la tête, ou encore d’autres personnes se frayant un chemin à travers un bois, en direction de la frontière grecque.

« Je vais partir en Allemagne », a dit à l’AFP Sebghatullah Amani, un Afghan de 20 ans, avant de prendre le car à Istanbul pour la frontière grecque.

Si aucune hausse spectaculaire du nombre des passages n’était visible vendredi, la Grèce et la Bulgarie, voisines de la Turquie, ont bouclé leurs frontières. Des centaines de personnes étaient bloquées dans la zone tampon entre la Grèce et la Turquie, a constaté l’AFP.  

Quatre millions de réfugiés

La Turquie accueille sur son sol quelque quatre millions de migrants et de réfugiés, des Syriens pour la plupart, et redoute un nouvel afflux depuis Idlib, où plus de 900 000 personnes se sont installées près de la frontière turque ces trois derniers mois, selon l’ONU.

Les tensions n’ont cessé de croître récemment à Idlib, avec plusieurs affrontements entre forces turques et syriennes qui ont fait au total 54 morts dans les rangs turcs en février.

Sur le terrain, le régime syrien et son allié russe ont mis les bouchées doubles ces dernières semaines et conquis plusieurs localités dans la province d’Idlib, même si des groupes rebelles soutenus par Ankara ont repris jeudi la ville stratégique de Saraqeb.

Déclenchée en mars 2011 par la répression de manifestations pacifiques, la guerre en Syrie a fait plus de 380 000 morts.