(Téhéran) Des foules monstres ont envahi les rues d’Ahvaz et Machhad dimanche au premier de trois jours d’hommage national en Iran au général Qassem Soleimani, tué vendredi par une frappe américaine en Irak.

À 17 h 15 (8 h 45, heure de Montréal) un convoi funéraire transportant les restes du général et d’autres victimes de la frappe américaine dans cinq cercueils, se fraye lentement un passage au milieu d’une véritable marée humaine à Machhad (nord-est), deuxième agglomération d’Iran et ville sainte chiite.

Depuis plus d’une heure, sur le camion de tête, des hommes renvoient vers la foule les keffieh, chemises ou autres vêtements qui leur sont lancés, après les avoir frottés sur les cercueils pour attirer la protection des « martyrs » à ceux qui les porteront, selon les images de la télévision d’État.

Alors que la nuit tombe, des milliers de lampes de téléphones s’allument dans la foule et ondulent autour de celui que tous pleurent : Soleimani, le soldat le plus populaire de la République islamique d’Iran.  

Dans la matinée, les cercueils de Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, chef militaire irakien pro-Iran tué en même temps que lui, avaient fendu au pas une autre foule compacte dans le centre d’Ahvaz, juchés sur le toit d’un camion fleuri et couverts d’une bâche représentant le dôme de la mosquée du Rocher de Jérusalem.

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Ville du sud-ouest de l’Iran à forte minorité arabe, Ahvaz est la capitale du Khouzestan, province martyre de la guerre Iran-Irak (1980-1988) pendant laquelle le général commença à s’illustrer.

L’angle de l’écran frappé d’un bandeau noir, la télévision d’État diffuse en direct depuis le matin un programme spécial sur l’hommage national, qui doit se poursuivre à Téhéran, dimanche et lundi, puis à Qom (centre), avant l’inhumation de la dépouille de l’officier, prévue mardi dans sa ville natale de Kerman (sud-est).

« Foule glorieuse »

Les autorités ont décrété trois jours de deuil national. Lundi sera jour férié à Téhéran, et mardi à Kerman.

La mort du général Soleimani a retardé l’annonce d’une nouvelle réduction des engagements internationaux iraniens sur son programme nucléaire qui aurait pu être annoncée dès samedi.

Le Conseil suprême de la sécurité nationale, doit se réunir dimanche soir pour arrêter une décision finale sur ce point, après les circonstances nouvelles créées par l’assassinat de celui qui commandait la force Qods, unité d’élite des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne.

Sans donner de chiffres, l’agence Mehr, proche des ultraconservateurs, a estimé qu’un « nombre incroyable » de personnes s’étaient réunies à Ahvaz. La télévision d’État a parlé d’une « foule glorieuse ».

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La télévision a diffusé les images d’une foule en deuil à Zanjan (nord-est).

Les cris de « Mort aux États-Unis » entendus à Ahvaz et Machhad ont résonné aussi au Parlement iranien, scandés par plusieurs dizaines de députés, poings levés, debout devant la tribune. « Trump, c’est la voix de la nation iranienne, écoute ! » a lancé le président du Parlement Ali Larijani.

Soleimani, chef de la branche des Gardiens chargée des opérations extérieures de l’Iran et architecte de la stratégie iranienne au Moyen-Orient, et Mouhandis ont été tués vendredi dans une frappe aérienne américaine devant l’aéroport de Bagdad.

La mort de Soleimani, que l’Iran a promis de venger, a choqué la République islamique et suscité des craintes d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

Le président américain Donald Trump, qui a ordonné l’assassinat du général, a annoncé samedi que les États-Unis avaient sélectionné 52 sites en Iran et qu’ils les frapperaient « très rapidement et très durement » si la République islamique attaquait du personnel ou des sites américains.

Certains de ces sites « sont de très haut niveau et très importants pour l’Iran et pour la culture iranienne », a averti M. Trump sur Twitter.

« S’ils attaquent encore, ce que je leur conseille fortement de ne pas faire, nous les frapperons plus fort qu’ils n’ont jamais été frappés auparavant », a-t-il ajouté.

« Présence maligne »

Selon M. Trump, le chiffre de 52 sites correspond symboliquement au nombre d’Américains retenus en otages pendant plus d’un an à partir de la fin de 1979 à l’ambassade des États-Unis à Téhéran.

« Viser des sites culturels est un crime de guerre », a rétorqué le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif sur Twitter.

« Ayant gravement violé le droit » international avec les « lâches assassinats » de Soleimani et Mouhandis, M. Trump « menace encore de commettre de nouvelles violations […] des normes impératives du droit international », de franchir de nouvelles « lignes rouges », a ajouté M. Zarif.

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Le général Qassem Soleimani et le chef militaire irakien pro-Iran Abou Mehdi al-Mouhandis

Cité par l’agence officielle Irna, le général de division Abdolrahim Moussavi, commandant en chef de l’armée a dit douter que les États-Unis « aient le courage » de mettre leurs menaces à exécution.

Samedi soir, après des défilés monstres dans plusieurs villes d’Irak pour les obsèques de Soleimani, des roquettes ont visé la Zone verte de Bagdad, où se trouve l’ambassade américaine déjà attaquée cette semaine, et une base aérienne abritant des soldats américains, sans faire de victimes.

Dimanche, au Parlement irakien, les pro-Iran pourraient obtenir un vote ordonnant le départ des soldats américains du pays, qui serait vraisemblablement suivi de celui de l’ensemble des troupes étrangères de la coalition antidjihadistes emmenée par Washington.