(La Haye) Le directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), Fernando Arias, a défendu lundi un rapport de ses enquêteurs sur une attaque aux armes chimiques présumée en Syrie, malgré la divulgation de documents qui jettent le doute sur ses conclusions.

M. Arias a déclaré s’en tenir à la conclusion de l’enquête, selon laquelle de la chlorine avait été utilisée à Douma en avril 2018, lors d’une attaque qui avait fait une quarantaine de morts.

Le site WikiLeaks a publié ce week-end un courrier électronique d’un membre de l’équipe qui a enquêté sur cette attaque chimique présumée, accusant l’OIAC d’avoir dissimulé des irrégularités.

Les Occidentaux, avec à leur tête les États-Unis, avaient à l’époque accusé le régime syrien d’être à l’origine du bombardement chimique et attaqué des installations militaires syriennes en représailles.

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Le siège social de l’OIAC, à La Haye.

«Il est dans la nature de toute enquête approfondie des membres d’une équipe d’exprimer des points de vue subjectifs», a déclaré M. Arias dans un discours prononcé en ouverture d’une réunion annuelle des États membres de l’organisation, basée à La Haye.

«Certains de ces points de vue divers continuent de circuler dans certains espaces de discussion publique, mais je tiens à réaffirmer que je maintiens la conclusion indépendante et professionnelle» de l’enquête, a-t-il ajouté.

Réalité «déformée»

Selon WikiLeaks, un enquêteur dont l’identité n’a pas été rendue publique a exprimé dans un courriel ses «préoccupations des plus graves», affirmant que le rapport de l’OIAC «dénature les faits» et reflète un «parti pris non intentionnel».

La Russie et ses alliés ont mis la main sur ce courriel, ainsi que sur un document précédent qui remettent tous deux en cause les conclusions de l’OIAC rendues publiques en mars 2019.

Moscou a déclaré lundi que le rapport sur l’attaque chimique présumée à Douma «déformait la réalité» et reflétait un «schisme» au sein de l’organisation.

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La ville de Douma a été la cible d'attaques le 16 avril 2018.

L’ambassadeur de la France auprès de l’OIAC, Luis Vassy, a toutefois exprimé son «soutien et sa confiance totale dans les conclusions de ce rapport», à l’instar du Royaume-Uni et des États-Unis.

Cet évènement a jeté une nouvelle vague de tensions entre la Russie et l’OIAC, dont les enquêteurs s’apprêtent pour la première fois à désigner les responsables d’attaques chimiques en Syrie, dont peut-être celle présumée à Douma.

Malgré de fortes objections de la part de la Syrie et de ses alliés, une majorité des 193 États membres avaient voté en juin 2018 en faveur du renforcement des pouvoirs de l’OIAC, en l’autorisant à désigner l’auteur d’une attaque chimique et non plus seulement à documenter l’utilisation d’une telle arme.

Blocage du budget?

Le premier rapport de l’équipe d’enquêteurs chargée d’identifier les auteurs présumés de ces attaques en Syrie est attendu pour le début de l’année prochaine.

Moscou menace notamment de bloquer le vote du budget 2020 de l’OIAC si celui-ci comprend un financement pour l’équipe d’enquêteurs.

Lors du premier jour de la réunion annuelle de l’OIAC, qui se déroulera jusqu’à vendredi, son directeur Fernando Arias a exhorté les États membres «à veiller à ce que l’organisation dispose d’un budget pour pouvoir fonctionner l’année prochaine».

AFP

Un ex-agent double russe a été la victime d'une attaque au Novitchok en mars 2018, en Angleterre.

Les grandes puissances pourraient toutefois s’entendre sur une question importante au cours de cette réunion : celle de l’ajout potentiel de l’agent innervant Novitchok à la liste des substances interdites de l’OIAC.

Le Novitchok, un agent neurotoxique de qualité militaire mis au point par l’Union soviétique pendant la Guerre froide, avait notamment été utilisé en mars 2018 lors de l’attaque à Salisbury contre l’ex-agent double russe Sergueï Skripal et sa fille Ioulia.

L’OIAC, qui a remporté le prix Nobel de la Paix en 2013, affirme avoir contribué à éliminer plus de 96% des stocks mondiaux déclarés d’armes chimiques depuis son entrée en vigueur en 1997.