Alors que le pays est politiquement paralysé, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a été formellement inculpé jeudi pour corruption, fraude et abus de confiance.

La décision du procureur général Avichaï Mandelblit a été accueillie avec colère par le politicien, qui a parlé d’une « tentative de coup d’État » visant à faire couler son sang, celui de sa femme et de ses enfants.

« Je ne permettrai pas aux mensonges de gagner. Je continuerai de mener ce pays conformément à l’esprit de la loi », a-t-il indiqué en relevant, selon le journal Haaretz, qu’il fallait « enquêter sur les enquêteurs ».

PHOTO AMMAR AWAD, REUTERS

Avichaï Mandelblit, procureur général d’Israël

Lors d’une conférence de presse, le procureur général a prévenu que sa décision d’aller de l’avant avec l’inculpation n’était pas inspirée par des considérations d’ordre politique et qu’il n’avait pas d’autre choix que de faire respecter la loi.

Benyamin Nétanyahou est notamment soupçonné, dans le dossier le plus grave relevé par la justice israélienne, d’avoir approuvé des réformes favorisant les intérêts d’un magnat du monde des télécommunications en échange d’une couverture médiatique favorable.

Il est aussi soupçonné d’avoir convenu avec un journal israélien de limiter le tirage d’un média adverse, là encore en échange d’articles favorables.

Toujours selon l’acte d’accusation, M. Nétanyahou ainsi que des membres de sa famille auraient accepté des cadeaux de la part de deux riches hommes d’affaires, et ce, pendant plusieurs années.

« Une réalité intolérable »

L’annonce du procureur général, qui a parlé hier d’un « jour triste » pour Israël, marque la première fois qu’un premier ministre en exercice est inculpé.

The Israel Democratic Institute, un organisme non partisan, a déclaré hier que Benyamin Nétanyahou devait démissionner, quoi que dise la loi à ce sujet.

« Tout premier ministre qui tente d’assurer ses fonctions officielles alors qu’il est inculpé va créer une réalité intolérable et inacceptable », a relevé son président, Yohanan Plesner, qui craint notamment de voir le politicien user de sa tribune pour critiquer les tribunaux.

Le principal rival politique du premier ministre israélien, Benny Gantz, a vivement critiqué la volonté affichée du politicien de demeurer en poste malgré l’inculpation, lui reprochant de vouloir se « barricader au pouvoir ».

La sortie de M. Gantz est survenue 24 heures après qu’il se fut reconnu incapable de former un gouvernement en recueillant l’appui d’une majorité d’élus de la Knesset.

Benyamin Nétanyahou avait tenté d’en faire autant dans la foulée des élections législatives de septembre, qui plaçait les partis des deux hommes à égalité.

Si aucun député ne réussit à former une majorité d’ici trois semaines, de nouvelles élections devront être déclenchées.

Quelques fissures

Tamar Hermann, qui dirige en Israël le Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique, doute que l’inculpation du premier ministre facilite la création d’un gouvernement adverse.

Il faudrait, a-t-elle indiqué en entrevue jeudi, que plusieurs membres du parti du premier ministre, le Likoud, fassent défection en réaction à ses démêlés juridiques, mais le scénario paraît peu probable.

Le Likoud se distingue par la fidélité qu’affichent ses membres envers leur chef.

Tamar Hermann

Quelques fissures ont néanmoins commencé à apparaître, relève l’analyste, puisque des membres influents du parti ont évoqué, dans la foulée de l’inculpation, la possibilité de tenir des primaires si jamais de nouvelles élections s’avèrent nécessaires.

Ainsi, Gideon Saar, un député influent, a dit avoir bon espoir de pouvoir mener le Likoud à la victoire lors d’un nouveau scrutin, de former un gouvernement et d’« unifier le pays et la nation ».

Selon Mme Hermann, l’inculpation de Benyamin Nétanyahou et son éventuelle condamnation risquent de mettre durement à l’épreuve la « résilience » d’Israël puisque la population est carrément divisée « en deux » à son sujet.

Ses partisans sont convaincus, comme il le répète, que les procédures judiciaires sont politiquement motivées et remettent en question, du même coup, l’indépendance des tribunaux.

Mme Hermann pense que les autorités judiciaires pourraient être tentées, si le politicien se montre coopératif, de chercher un accord permettant de le punir tout en lui évitant la prison.

L’ex-président israélien Moshe Katsav, qui faisait face à des allégations d’agression sexuelle en 2007, avait conclu avec les procureurs un accord controversé ne prévoyant pas de détention. Il l’avait finalement récusé pour défendre son innocence, avant d’écoper de sept ans de prison.