Les pays occidentaux ne peuvent pas « se laver les mains » du problème que représentent leurs ressortissants détenus dans des prisons et camps du nord de la Syrie, affirme l’institut de recherche International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié hier. Il enjoint à ces pays, incluant le Canada, de rapatrier en priorité les femmes et les enfants.

Au moins 13 500 femmes et enfants, en plus d’environ 2000 combattants étrangers du groupe armé État islamique, sont détenus dans le nord de la Syrie, estime l’ICG. Parmi eux, 1450 proviennent de pays européens ou d’Amérique du Nord – des statistiques qui restent imprécises et sous-estiment vraisemblablement la réalité.

On estime qu’une quarantaine de Canadiens, soit 5 hommes, 10 femmes et 25 enfants, font partie du groupe.

Détenus dans des conditions inhumaines, aux prises avec la faim, les maladies et l’insécurité, ces prisonniers étaient gardés depuis la chute du « califat islamique » de l’EI par les Forces démocratiques syriennes, groupe armé contrôlé par les Unités de protection du peuple kurdes.

Le mois dernier, quand la Turquie a lancé son offensive au Kurdistan, suivant l’annonce du retrait militaire américain, plusieurs centaines de djihadistes ont pris la clé des champs.

Depuis l’arrêt de l’offensive, les Forces démocratiques syriennes ont repris le contrôle des camps et prisons où sont parqués les djihadistes et leurs familles. De leur côté, les États-Unis ont finalement laissé un millier de militaires dans la région.

La situation dans le Kurdistan syrien reste « tout sauf stable » et l’éventualité d’un autre geste « impulsif » du président Donald Trump risque de la déstabiliser davantage, écrit l’ICG.

Voilà pourquoi les pays occidentaux, qui essaient d’éviter la question délicate de leurs ressortissants djihadistes comme la peste, devraient au contraire amorcer leur rapatriement, et ce, autant pour des raisons humanitaires que sécuritaires, plaide l’ICG.

Conditions effroyables

Le rapport décrit comme « effroyables » les conditions de détention dans l’un des trois camps qui abrite des femmes et des enfants de djihadistes étrangers, celui d’Al-Hol, particulièrement pour les enfants qui n’ont aucune responsabilité dans les évènements qui ont conduit à leur captivité.

PHOTO DELIL SOULEIMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le rapport de l’International Crisis Group décrit comme « effroyables » les conditions de détention dans l’un des trois camps qui abrite des femmes et des enfants de djihadistes étrangers, celui d’Al-Hol (photo), dans le nord-est de la Syrie.

Ces enfants souffrent de « malnutrition grave, de diarrhées, de tuberculose, de rougeole et d’hépatite », énumère le rapport de l’ICG. L’accès aux soins médicaux est limité et celui à l’instruction, inexistant. Le retrait américain a incité les Kurdes à se rapprocher du régime syrien qui est réputé pour la manière cruelle avec laquelle il traite ses prisonniers, dont le sort serait pour le moins incertain si jamais ils devaient tomber sous le contrôle direct de la Syrie. Dans le contexte instable et changeant, ils pourraient aussi fuir et se retrouver dans la nature.

« La détention à long terme de ces hommes, femmes et enfants […] a toujours été problématique pour des raisons sécuritaires et humanitaires », fait valoir le rapport de l’ICG, selon qui la « fenêtre de possibilité » pour le rapatriement « pourrait se fermer rapidement ».

L’institut spécialisé dans la recherche sur les situations de crise reconnaît que la possibilité d’un rapatriement de masse pose un défi logistique, juridique et politique aux pays concernés. L’opinion publique des démocraties occidentales y est majoritairement opposée. Les lois nationales ne donnent pas toujours prise à des poursuites.

Idéalement, tous les ressortissants étrangers devraient être rapatriés dans leur pays d’origine, selon l’ICG. Mais dans les circonstances, il faudrait au moins commencer par les plus vulnérables : les enfants, dont certains sont orphelins, et les femmes, qui présentent des degrés inégaux d’allégeance à l’EI.

L’approche la plus réaliste pourrait consister à diviser la population et placer les femmes et les enfants en haut de la liste de rapatriement.

Extrait du rapport de l’International Crisis Group, publié hier

Casse-tête

Le sort des ressortissants étrangers pose un sérieux casse-tête à leurs pays d’origine. Certains d’entre eux, comme la Russie, l’Ouzbékistan ou le Kosovo, ont entrepris de rapatrier leurs djihadistes. Exemple : la Russie a déjà ramené 200 femmes et enfants dans des vols nolisés.

Les pays européens, l’Australie et le Canada y vont au compte-gouttes ou ne font rien du tout. La France, qui a établi un protocole de retour prévoyant que les combattants seraient incarcérés ou placés en garde à vue, tandis que les enfants seraient confiés aux services sociaux, n’a pas ramené plus d’une vingtaine de personnes depuis deux ans, selon Azadeh Moaveni, chercheuse à l’ICG, jointe hier.

Seuls les États-Unis ont fait des efforts sérieux pour rapatrier leurs ressortissants des camps et prisons du Kurdistan syrien, constate l’ICG. C’est dû à la conjonction de deux phénomènes : le nombre relativement restreint de djihadistes détenant la citoyenneté américaine et les lois sévères qui permettent de les détenir et de les juger plus efficacement, souligne Azadeh Moaveni.

Plusieurs sources indiquent que le Canada aurait abandonné un plan de rapatriement de 21 djihadistes et membres de leurs familles, projet qui aurait été sur le point d’être réalisé, comme l’indiquait La Presse dans un article publié il y a deux semaines. Mais Ottawa persiste à nier cette information. « Compte tenu de la situation sécuritaire sur le terrain, la capacité du gouvernement du Canada à fournir une aide consulaire dans l’ensemble de la Syrie est extrêmement limitée », a d’ailleurs réitéré une porte-parole d’Affaires mondiales Canada dans un courriel envoyé hier, à titre de réaction à l’appel de l’International Crisis Group.