(Bagdad) Bagdad a annoncé mardi les résultats de son enquête sur une semaine sanglante de manifestations début octobre, limogeant des dizaines de responsables militaires après plus de 150 morts, sans sembler satisfaire l’opposition et la rue, qui a prévu de reprendre les protestations vendredi.

Aussitôt après, la mission de l’ONU en Irak (UNAMI) a publié un rapport, compilé par ses soins, qui dénonce «de graves violations des droits humains et des abus» et accuse les forces de sécurité d’avoir «utilisé une force excessive contre les manifestants».

L'UNAMI dénonce «un climat de peur», citant «les arrestations de masse et les détentions, l’intimidation et le harcèlement de manifestants, de journalistes et de militants, les attaques contre des médias et la coupure d’internet et des réseaux sociaux» – toujours inaccessibles sans VPN, trois semaines après le début des manifestations.

La Haute commission d’enquête formée par le premier ministre Adel Abdel Mahdi a, elle, donné un bilan final de 157 morts, quasiment tous des manifestants, décédés en grande majorité à Bagdad, entre le 1er et le 6 octobre. Et «70%» d’entre eux ont été touchés à balles réelles «à la tête et au torse», selon le rapport d’enquête.  

Face à ces violences, la Haute commission a annoncé le limogeage de dizaines de commandants militaires de sept des 18 provinces du pays, touchées par la contestation.

De son côté, l'UNAMI a souligné «l’importance capitale de faire rendre des comptes aux responsables» des 149 civils et huit membres des forces de sécurité tués, d’après le bilan officiel.

Parmi eux, 107 civils et quatre membres des forces de sécurité sont morts à Bagdad, où les affrontements se sont d’abord concentrés sur l’emblématique place Tahrir avant de gagner le turbulent bastion chiite de Sadr City, ensanglanté par une nuit de chaos.

«Tireurs non identifiés»

Face à un mouvement dénonçant la corruption et réclamant emplois, services fonctionnels puis la chute du gouvernement, les autorités avaient ordonné de faire la lumière sur les violences, ne reconnaissant un «usage excessif» de la force par leurs hommes que durant quelques incidents limités.

La Haute commission fait porter la responsabilité de certaines des morts sur les forces de sécurité, mais évoque également des «tireurs», sans les identifier.  

Les autorités accusent depuis le début du mouvement des «tireurs non identifiés» postés sur des toits au-dessus des manifestants et des forces de l’ordre.

Pour le politologue Essam al-Fili, les autorités proposent «des sanctions administratives» sans «faire rendre des comptes à ceux qui se sont rendus coupables de crimes», alors que la rue appelle à reprendre les manifestations vendredi, jour du premier anniversaire de la prise de fonction du gouvernement d’Adel Abdel Mahdi.

Et «cela convaincra-t-il le grand ayatollah Ali Sistani?», la plus haute autorité religieuse de la plupart des chiites d’Irak, qui a donné jusqu’à vendredi au gouvernement pour répondre aux demandes des manifestants et faire la lumière sur les violences, interroge le spécialiste.

L’ancien premier ministre Haider al-Abadi, désormais dans l’opposition, a dénoncé un rapport «désespérant».

«Ce rapport fait état d’une désobéissance de responsables militaires et sécuritaires qui ont décidé d’ouvrir le feu contrairement aux ordres. Mais il n’explique pas comment cette “désobéissance” a duré plusieurs jours sans que le plus haut échelon de la direction ne reprenne le contrôle», accuse-t-il.

Pour les défenseurs des droits humains, les forces de l’ordre sont responsables de la mort des manifestants : soit elles ont tiré, soit elles n’ont pas su les protéger des snipers.

«Désespérant»

L’Observatoire irakien des droits humains a également qualifié le rapport officiel de «désespérant», assurant qu’il «cache des vérités» et «se garde d’identifier les vrais criminels». «Ils essayent d’absorber la colère populaire», accuse-t-il encore.

Pourtant, le mouvement, déclenché le 1er octobre de manière spontanée – fait inédit en Irak – pourrait gagner en ampleur vendredi avec l’entrée en scène des très nombreux partisans de l’influent leader chiite Moqtada Sadr. Ce dernier réclame la démission du gouvernement, auquel il participe, et des élections anticipées «sous supervision de l’ONU».

Mardi, il a fait monter la pression en annonçant «l’état d’alerte à compter de jeudi soir et jusqu’à nouvel ordre» pour ses partisans, ses unités combattantes, sa sécurité, ses députés face à «des circonstances révolutionnaires et au danger qu’elles engendrent».

L'UNAMI a appelé Bagdad à «prendre des mesures concrètes pour éviter la violence».  

Le Parlement, paralysé depuis début octobre par les divisions, a annoncé qu’il se réunirait samedi pour discuter des revendications des manifestants.