Mardi prochain, les Israéliens iront aux urnes pour la deuxième fois en cinq mois. Au pouvoir de façon ininterrompue depuis 10 ans, plombé par d’innombrables scandales, Benyamin Nétanyahou a des chances de l’emporter une fois de plus, au terme d’une campagne où se jouent les liens entre la religion et l’État.

La religion au cœur de la campagne électorale

PHOTO JACK GUEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

En juillet dernier, des centaines de personnes ont manifesté dans les rues de Tel-Aviv contre les propos homophobes du ministre de l’Éducation sortant, Rafi Peretz.

L’affiche qui surplombe une autoroute en banlieue de Tel-Aviv affirme, en lettres blanches sur fond bleu marine, qu’Israël « choisit d’être normal ».

À quel genre de normalité ce slogan électoral fait-il donc référence ? Celle d’un pays qui a réussi à faire la paix avec ses voisins ? Qui a abandonné sa politique de colonisation des territoires palestiniens occupés ?

Pas du tout. L’affiche invite plutôt les électeurs à voter pour la « normalité » de l’hétérosexualité, et à rejeter d’autres formes de sexualité jugées déviantes.

Cette publicité électorale en vue des législatives du 17 septembre prochain a été financée par le parti Noam, une formation de droite religieuse plutôt marginale, qui n’a aucune chance d’atteindre le seuil des 3,25 % permettant de remporter un des 120 sièges de la Knesset, le Parlement israélien.

Mais pour Tamar Yahel, responsable d’une association qui organise des ateliers sur la diversité sexuelle dans les écoles israéliennes, ce message sonne comme une menace.

L’opinion publique israélienne est très libérale sur la question de l’homosexualité, mais en même temps, les partis ultrareligieux ouvertement homophobes font de plus en plus de bruit.

Tamar Yahel, militante pour la diversité sexuelle

La présence de Noam dans cette campagne électorale l’inquiète particulièrement depuis que des médias ont révélé que le Likoud, parti du premier ministre Benyamin Nétanyahou, avait tenu des négociations secrètes avec cette formation, lui promettant des « cadeaux » politiques en échange d’un retrait de la course électorale. Une manière, pour le Likoud, de limiter la dispersion des votes dans le segment de la population qui est susceptible de voter en sa faveur.

Le parti de droite a nié ces révélations. Mais Tamar Yahel reste inquiète. Cette maman de deux filles, dont l’une est née à Toronto, vit avec sa partenaire dont le rôle parental n’est pas reconnu en Israël. Elle craint que la montée des discours ultrareligieux ne freine les progrès vers l’égalité. Ou même que des propos haineux diffusés publiquement ouvrent la voie à des gestes violents à l’endroit de la communauté LGBTQ.

« Je suis convaincue que personnellement, Nétyanahou croit à l’égalité des droits, peu importe l’orientation sexuelle. Mais il a quand même jugé les homophobes déclarés de Noam assez légitimes pour négocier avec eux. Ça montre qu’il est prêt à faire beaucoup de compromis pour avoir les juifs ultraorthodoxes de son côté. »

L’enjeu numéro 1

Comme d’autres Israéliens, Tamar Yahel estime que la relation entre la religion et l’État constitue l’enjeu le plus important de ce scrutin.

Ce sujet est en arrière-plan de la politique israélienne depuis longtemps, nuance Shuki Friedman, directeur du Centre d’études sur la religion, la nation et l’État, de l’Institut israélien de la démocratie. Mais cette fois, la manière même dont on en est arrivé à convoquer les citoyens aux urnes, pour la deuxième fois en tout juste cinq mois, a contribué à propulser le thème au premier plan de la campagne électorale.

Reportons-nous au 9 avril dernier, jour des législatives qui donnent le Likoud en avance par une marge infime de moins d’un demi-point de pourcentage, suivi du parti Bleu et Blanc de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz.

Selon la tradition de ce pays au paysage politique hyper fragmenté, le premier ministre Nétanyahou s’est alors lancé dans des tractations afin de former une coalition lui permettant de constituer le prochain gouvernement.

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Des juifs ultraorthodoxes manifestent contre le service militaire obligatoire à Mea Shearim, en août dernier.

Mais l’un de ses alliés potentiels, Avigdor Lieberman, ancien ministre des Affaires étrangères sous un gouvernement Nétanyahou, a décidé de jouer le tout pour le tout. Son prix pour rejoindre la coalition : s’engager à obliger les juifs ultraorthodoxes à quitter leurs yeshivas, ou écoles talmudiques, pour faire leur service militaire comme tous leurs compatriotes.

S’il avait accepté, Nétanyahou aurait perdu des appuis dont il avait besoin sur sa droite. Devant cette équation impossible, les députés ont fini par voter la dissolution de la Knesset et la convocation d’un nouveau rendez-vous électoral.

Depuis, Avigdor Lieberman a maintenu le cap sur le nationalisme laïque, ce qui lui a valu de doubler sa part d’intentions de vote !

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L’ancien ministre des Affaires étrangères de Nétanyahou Avigdor Lieberman (à gauche), aujourd’hui candidat du parti nationaliste Israel Beytenou

C’est lui [Avigdor Lieberman] qui a placé le débat sur les liens entre l’État et la religion au premier plan de la campagne.

Shuki Friedman, directeur du Centre d’études sur la religion, la nation et l’État, de l’Institut israélien de la démocratie

Concrètement, sur quoi portent les demandes des partis ultrareligieux mieux placés pour faire partie d’un éventuel gouvernement de droite que ne le sont les homophobes de Noam ? Leur influence pourrait toucher les programmes scolaires, cite Shuki Friedman, mais aussi l’exemption du service militaire pour les ultraorthodoxes, les règles de conversion religieuse, le respect du shabbat, ou encore l’élimination de toute mixité entre hommes et femmes au mur des Lamentations.

PHOTO JACK GUEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le ministre israélien de l’Éducation Rafi Peretz

La question de l’éducation est particulièrement délicate dans ce pays dont le ministre de l’Éducation sortant, Rafi Peretz, souhaite renforcer l’étude de la Torah qu’il considère comme la seule source de vérité historique. Ce même Rafi Peretz a déjà vanté les effets des « thérapies de conversion » vers l’hétérosexualité, proclamant qu’il en avait lui-même dirigées quand il était éducateur. 

Ces déclarations ont causé une vague d’indignation, en juillet dernier… Des centaines de manifestants étaient alors descendus dans la rue – mais le ministre, lui, est resté à son poste.

Autres enjeux

Cet enjeu crucial qui risque d’être déterminant pour l’avenir du pays n’est pas le seul sujet de débat des législatives en cours. Il est aussi question de corruption – le premier ministre faisant l’objet d’une triple procédure d’inculpation pour fraude, corruption et abus de confiance (voir onglet 3).

La campagne porte aussi sur des questions économiques et les inégalités sociales.

Le grand absent du débat : le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, sujet qui est presque complètement évacué de la campagne électorale.

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Un cycliste est vu près d’un panneau électoral du Likoud, parti de Nétanyahou, sur lequel le premier ministre serre la main du président américain Donald Trump, à Tel-Aviv, le 10 septembre. Le slogan, écrit en hébreu, affirme : « Nétanyahou est dans une autre ligue ».

Ce n’est pas étonnant, note le politologue israélien Yossi Alpher. « Donald Trump n’arrivera pas avec un plan de paix surprise dans les semaines qui viennent. Son émissaire pour la paix au Proche-Orient, Jason Greenblatt, vient tout juste de démissionner et, face aux attaques de roquettes venant de Gaza, il y a un sentiment fort, au sein de l’opinion israélienne, qu’une guerre avec le Hamas [qui dirige la bande de Gaza] est inévitable », résume Yossi Alpher.

Bref, l’idée même de négocier la paix avec les Palestiniens n’apparaît tout simplement pas sur l’écran radar. Et ce ne sont pas les récentes déclarations de Benyamin Nétanyahou sur son intention d’annexer unilatéralement un grand pan de la Cisjordanie occupée qui vont la faire réapparaître ! Ces annonces de la dernière heure visent surtout à séduire l’électorat ultranationaliste et ne sont pas vraiment débattues par les partis en campagne.

Yossi Alpher constate, lui aussi, que face à ce vide, le débat sur la place de la religion prend beaucoup de place dans la campagne en cours.

« C’est un gros enjeu, beaucoup d’électeurs du centre de l’échiquier politique sont inquiets de voir comment le sionisme est en train d’être redéfini comme un courant religieux. »

Ce qui n’était pas le cas au moment de la création de l’État hébreu, il y a 71 ans.

Une élection ex aequo

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L’ex-chef d’état-major Benny Gantz, candidat de Bleu et Blanc, salue des partisans venus l’accueillir lors d’un événement politique, à Haïfa, ville portuaire du nord d’Israël, le 17 septembre.

Les sondages donnent les deux leaders de la campagne électorale, Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud, et Benny Gantz, du parti Bleu et Blanc, presque à égalité, avec respectivement 31 et 32 % des intentions de vote.

L’état des forces actuel ne permet pas de prévoir lequel des deux sera en mesure de former le prochain gouvernement.

Différents cas de figure sont possibles, note Yossi Alpher. S’il réussit à sortir « assez de lapins de son chapeau », Benyamin Nétanyahou pourrait réussir à former une coalition de droite sans Avigdor Lieberman, le nationaliste laïque. Mais ce scénario paraît peu probable.

Si Benny Gantz se classe en première place, il pourrait miser sur une alliance avec Avigdor Lieberman, et peut-être même recruter quelques anciens ministres de Nétanyahou, dans une large coalition de centre droit.

Cela dit, même si Benny Gantz a juré qu’il ne servirait pas « sous Nétanyahou », il n’est pas impossible qu’ils s’entendent sur le principe d’une direction successive, chacun occupant le siège de premier ministre à tour de rôle, suppute Yossi Alpher.

« Une chose est certaine, tranche-t-il, personne ne veut d’une troisième élection, qui serait terrible pour la démocratie israélienne. »

Nétanyahou se bat « pour sauver sa peau »

PHOTO MENAHEM KAHANA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre Benyamin Nétanyahou

Comment expliquer la relative popularité de Benyamin Nétanyahou, malgré les accusations qui pèsent contre lui ?

Jusqu’à maintenant, Benyamin Nétanyahou n’a jamais été reconnu coupable d’aucun des chefs d’accusation contre lui. D’ailleurs comme le signale Tamar Hermann, directrice du Centre Guttman sur l’opinion publique et la recherche politique, ses partisans et admirateurs sont de toute façon convaincus que ces poursuites découlent d’un complot fomenté par un appareil judiciaire qui a un parti pris et qu’ils jugent « gauchiste ».

Oui, mais s’il devait être condamné dans les mois qui viennent ?

Une partie de ses partisans continuera à croire à un complot même s’il devait être condamné, estime Tamar Hermann. Et puis, s’il devait y avoir un procès dans l’un des trois dossiers dans lesquels il y a une procédure d’inculpation contre le chef du Likoud, ce dernier pourrait obtenir un vote d’immunité parlementaire auprès de la Knesset, explique le politologue Yossi Alpher.

Selon ce dernier, Nétanyahou ne se bat pas seulement pour le pouvoir dans ces élections, mais aussi, et peut-être surtout, pour sauver sa peau. Sans immunité, il pourrait atterrir en prison à l’issue d’un procès, estime Yossi Alpher.

Dans cette campagne électorale, « Nétanyahou confond l’intérêt de l’État et son propre intérêt », tranche le politologue.

Et les choses pourraient aller plus vite qu’on pense : une première rencontre entre les avocats du premier ministre et le procureur général est prévue pour octobre. C’est là que se jouera le sort des trois dossiers dans lesquels il est accusé.

De quels autres atouts Nétanyahou dispose-t-il  ?

L’économie va bien, très bien même, dit Tamar Hermann. « Beaucoup d’électeurs voient Nétanyahou comme un bon dirigeant, qui a été l’artisan d’une hausse générale du niveau de vie. »

Et puis, malgré les menaces de roquettes occasionnelles en provenance de la bande de Gaza, le niveau de terreur a diminué, il n’y a pas d’attentats. « Les gens se sentent en sécurité », résume Tamar Hermann.

Les derniers sondages montrent que Benyamin Nétanyahou est à égalité avec son principal adversaire, Benny Gantz. Ces derniers jours, on a vu le premier ministre multiplier les déclarations-chocs, sur l’Iran, ou encore sur son intention d’annexer une partie de la Cisjordanie. Quelle est donc sa stratégie ?

Les révélations sur un supposé ancien site nucléaire iranien sont en réalité très faibles, estime Yossi Alpher. Selon lui, le premier ministre Nétanyahou essaie de tirer des lapins de son chapeau. Comme sa rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, à Sotchi, cette semaine. Ou encore le dossier iranien, qui lui permet de jouer la carte de la sécurité.

« Beaucoup de ses gestes récents sont des manœuvres politiques désespérées », dans l’espoir de préserver un tapis susceptible de lui glisser sous les pieds mardi prochain, juge Yossi Alpher.

Benyamin Nétanyahou en quelques dates

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Benyamin Nétanyahou, alors jeune garçon

1949

Naissance à Tel-Aviv

Années 60

La famille Nétanyahou s’établit aux États-Unis.

1967

Benyamin Nétanyahou retourne en Israël et fait son service militaire dans une unité d’élite.

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Benyamin Nétanyahou
 (au centre), lors de son service militaire

1984

Il est nommé ambassadeur d’Israël à l’ONU.

PHOTO DON EMMERT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ambassadeur d’Israël à l’ONU Benyamin Nétanyahou brandit un dossier sur le criminel de guerre nazi Alois Brunner, à New York, en novembre 1986.

1996

Le Likoud remporte les élections législatives et Benyamin Nétanyahou devient, à 47 ans, le plus jeune premier ministre de l’État hébreu. Il perdra le pouvoir en 1999.

PHOTO MENAHEM KAHANA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Benyamin Nétanyahou et sa femme Sara saluent la foule venue célébrer la victoire du Likoud aux législatives israéliennes, en juin 1996. « Bibi » devient, à 47 ans, le plus jeune premier ministre de l’État hébreu.

2005

Il retourne à la tête du Likoud.

2009

Le Likoud revient au pouvoir avec Nétanyahou à sa tête.

2016

Début de ses ennuis judiciaires, dans une affaire concernant des cadeaux distribués à sa famille, sous forme de cigares, de bouteilles de champagne et de bijoux d’une valeur de 350 000 $.

PHOTO RONEN ZVULUN, ARCHIVES REUTERS

Le premier ministre attend l’ouverture de la session parlementaire à la Knesset, à Jérusalem, en mai 2016, année où ses déboires avec la justice débutent. 

Février 2019

Le procureur général de l’État d’Israël ouvre une procédure d’inculpation dans trois dossiers différents, pour fraude, corruption et abus de confiance.

Avril 2019

Le Likoud arrive premier aux législatives, mais Nétanyahou est incapable de former un gouvernement et déclenche de nouvelles élections.