Les États qui fournissent des armes ou du soutien logistique aux belligérants du conflit yéménite pourraient ultimement être tenus responsables de graves violations du droit international perpétrées dans le pays.

La mise en garde juridique a été lancée hier par un groupe d’experts des Nations unies dans un nouveau rapport qui dresse un portrait alarmant des abus attribuables aux rebelles houthis et à la coalition saoudienne et émiratie qui les affronte.

Le document est susceptible d’alimenter la cause des militants qui tentent de convaincre le Canada d’annuler un contrat controversé de vente de véhicules blindés à Riyad en évoquant la possibilité qu’ils servent au Yémen.

Le juriste Daniel Turp entend notamment évoquer le travail des experts onusiens dans une requête qui sera déposée en Cour fédérale dans deux semaines.

« Les faits rapportés peuvent être utilisés pour étayer l’idée qu’il y a un risque sérieux d’abus si les véhicules blindés sont livrés », a-t-il indiqué hier.

PHOTO KIRSTY WIGGLESWORTH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un véhicule blindé canadien en Afghanistan, en 2010

Même son de cloche du côté d’Oxfam, qui a écrit début août au premier ministre Justin Trudeau avec une dizaine d’organisations humanitaires pour lui demander d’annuler le contrat de blindés.

« On avait des craintes qui vont dans le sens du nouveau rapport. Le risque est trop grand que les armes vendues aux belligérants au Yémen mènent à des abus des droits humains », a indiqué hier Anne Duhamel, responsable des campagnes et politiques chez Oxfam-Québec.

« Crimes de guerre »

Les experts de l’ONU ont mené plus de 600 entrevues qui leur ont permis de documenter un « nombre substantiel de violations du droit humanitaire international ».

Ils soulignent notamment que la coalition chapeautée par l’Arabie saoudite a mené au Yémen plusieurs frappes aériennes meurtrières assimilables à des « crimes de guerre » en raison de leur impact sur la population civile.

Malgré les promesses faites par les autorités de revoir leurs pratiques, les dommages causés par les frappes demeurent « significatifs ».

Le rapport évoque notamment le bombardement, en août 2018, d’un autobus transportant une cinquantaine d’enfants qui circulait dans un marché. Plus d’une trentaine des passagers ont été tués ou blessés.

On reproche notamment aux houthis, qui contrôlent la capitale yéménite, Sanaa, d’avoir fait de multiples victimes par des tirs de mortier et de missiles qui semblaient parfois être volontairement dirigés sur des cibles civiles.

Plusieurs cas de disparitions forcées, d’exécutions parajudiciaires et de détentions arbitraires, souvent accompagnées d’actes de torture, sont imputés aux deux camps.

Le rapport déplore que la plupart des violations du droit international relevées soient restées impunies à ce jour et fournit les noms de plusieurs individus susceptibles de faire face à la justice ultérieurement.

« La communauté internationale doit cesser de fermer les yeux sur ces violations et sur la situation humanitaire intolérable » au Yémen, a souligné dans un communiqué le président du groupe d’experts, Kamel Jendoubi.

Ventes suspendues

La gravité des exactions recensées alimente de vives polémiques dans plusieurs pays qui vendent des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France étant les principaux fournisseurs.

Certains gouvernements ont annoncé qu’ils suspendaient les ventes d’armes par crainte qu’elles n’alimentent les abus, parfois après avoir été contraints de revoir leur approche par les tribunaux.

La Cour d’appel britannique a statué en juin que le gouvernement conservateur n’avait pas évalué correctement si la coalition saoudienne violait par ses actions le droit international au Yémen avant d’accorder des permis d’exportation.

Un tribunal belge a récemment rendu une décision similaire et le nombre de contestations juridiques ne cesse de se multiplier, se réjouit Daniel Turp, qui a déjà tenté en vain à deux reprises devant les tribunaux de contraindre Ottawa à cesser la vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite.

L’entrée en vigueur formelle au Canada des dispositions du Traité sur le commerce des armes de l’ONU, à la mi-septembre, réduira sensiblement la marge de manœuvre du gouvernement puisqu’il prévoit que l’existence d’un risque sérieux de violation des droits de la personne suffit pour bloquer l’exportation d’armes.

Le ministre n’aura plus la latitude qu’il avait par le passé pour rendre sa décision dans ce type de dossier, note Me Turp, qui aimerait connaître la position du gouvernement libéral et des autres partis sur le contrat des véhicules blindés avant la tenue des élections fédérales.

Oxfam-Québec presse aussi Ottawa de faire connaître sa décision après plusieurs mois de réflexion. « Le silence radio à ce sujet nous étonne », a indiqué Mme Duhamel.

Le ministère des Affaires étrangères n’a pas répondu hier à La Presse.