C’est jour d’anniversaire aujourd’hui en Israël. Le premier du déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et le 71e de la déclaration d’indépendance du pays. Des anniversaires que souligne avec inquiétude l’organisation israélienne Paix maintenant. La Presse a rencontré à Montréal la directrice du groupe pacifiste, Shaqued Morag.

Vous êtes à Montréal pour prononcer une conférence sur les défis auxquels la démocratie israélienne fait face. Quelle est votre principale inquiétude ?

L’an dernier, la loi sur l’État-nation a été adoptée par la Knesset. Et cette loi définit seulement la reconnaissance du peuple juif. Ça veut dire que ça exclut 20 % de la population d’Israël qui n’est pas juive et a des sentiments nationaux différents. Du coup, on en fait des citoyens de seconde classe. Nous nous sommes opposés à cette loi aux côtés des leaders de la communauté arabe-israélienne. Pour le moment, les changements ne se font pas encore sentir, mais nous craignons que cette loi, à laquelle 40 % de la population est opposée, soit une étape intermédiaire pour préparer l’annexion des territoires palestiniens.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Âgée de 34 ans, l’Israélienne Shaqued Morag est la directrice générale de Paix maintenant depuis 2018. Avant de se joindre à l’organisation pacifiste, Mme Morag a milité au sein d’un parti politique de gauche, Meretz.

Lors de la dernière campagne électorale, Benyamin Nétanyahou, qui vient tout juste d’être réélu premier ministre, a d’ailleurs promis d’annexer les colonies juives de la Cisjordanie. Vous pensez qu’il ira de l’avant ?

Depuis des années, notre mouvement essaie de prouver aux Israéliens et au reste du monde que le gouvernement israélien est en train d’annexer pas à pas les territoires occupés sans le dire tout fort. Il laisse les colonies illégales exister. Il tente d’imposer la loi israélienne dans des zones où Israël n’a pas la souveraineté. Lors de la dernière campagne électorale, Nétanyahou a dit haut et fort qu’il est prêt à annexer des territoires, notamment pour rallier les partis d’extrême droite. En reconnaissant en mars dernier la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien, le gouvernement Trump a envoyé un message très clair : tout ce qu’Israël veut annexer, les États-Unis vont le reconnaître et l’autoriser. Pour le moment, les autres pays de la communauté internationale ne suivent pas, et j’espère qu’ils ne le feront pas. Pour notre mouvement, l’annexion des territoires palestiniens serait la fin de la vision sioniste.

En quoi serait-ce la fin de la « vision sioniste » ?

Paix maintenant est un mouvement démocratique, et nous voulons un État juif et démocratique en Israël. Alors, si on annexe les territoires où 2,9 millions de Palestiniens vivent, soit on leur donne tous les droits et Israël devient une démocratie qui perd son caractère juif. Ou — et nous pensons que c’est ce qui se produirait — les nouveaux citoyens n’auraient pas tous les droits. Dans cette éventualité, Israël resterait un État juif, mais ne serait plus une démocratie. Et pour nous, l’existence d’un État juif n’en vaut pas la peine si l’État n’est pas démocratique et opprime d’autres êtres humains.

On s’attend à ce que le gouvernement Trump dévoile à la fin du ramadan ce qu’il appelle son « entente du siècle » pour mettre fin au conflit israélo-palestinien. Quelles sont vos attentes à l’égard de cette entente ?

Si l’entente ne promet pas la création d’un État palestinien, les Palestiniens ne coopéreront pas. Jusqu’à maintenant, le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et ses proches n’ont pas été consultés par les Américains, qui, en plus de déménager leur ambassade à Jérusalem sans que ça fasse partie d’une entente négociée, ont fermé leur consulat auprès de l’Autorité palestinienne. Rien n’est fait pour entendre les préoccupations de la partie palestinienne. Nétanyahou aime dire qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix de l’autre côté de la table. Pourtant, avec d’autres militants pacifistes, j’ai rencontré Abbas. Il dit qu’il est prêt à accepter un État qui respecte les lignes établies en 1967, qu’il veut des écoles et des hôpitaux et non des tanks et des avions militaires, qu’il reconnaît que le retour des réfugiés n’est pas possible sans mettre en péril l’existence d’Israël. Mais au lieu de l’inclure dans le dialogue, le gouvernement israélien préfère dire qu’il refuse tout.

Quel impact a eu la récente recrudescence de violence entre Israël et le Hamas, qui gouverne Gaza, sur le climat politique ?

D’abord, je dois dire que je crois au droit d’Israël d’assurer sa sécurité. Mais cet épisode est préoccupant. Le gouvernement israélien continue de laisser le Hamas — un groupe terroriste — gouverner à Gaza et a accepté d’étendre les droits de pêche à Gaza après les incidents du début du mois qui ont fait des morts des deux côtés. Ça envoie le message aux Palestiniens que s’ils veulent quoi que ce soit, ça doit passer par la violence. Au même moment, le même gouvernement écarte l’interlocuteur qui veut négocier politiquement.

Qu’est-ce que Paix maintenant ?

Le mouvement Paix maintenant a été mis sur pied en 1978 après que 348 réservistes et militaires israéliens ont demandé au premier ministre de l’époque, Menahem Begin, de donner une chance au processus de paix avec l’Égypte. Aujourd’hui, Paix maintenant, une organisation pacifiste sioniste, milite pour la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël et surveille de près les colonies juives dans les territoires occupés palestiniens. À l’invitation des Amis canadiens de la Paix maintenant, Shaqued Morag va prononcer un discours à la salle communautaire du temple Emmanu-El-Beth Sholom de Westmount (4100, rue Sherbrooke Ouest) à 19 h 30 aujourd’hui.