(Jérusalem) Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a essuyé un revers cinglant en échouant dans ses efforts pour former une coalition de gouvernement, et a préféré provoquer de nouvelles élections quelques mois à peine après le précédent scrutin, du jamais vu en Israël.

À l’issue d’une journée de débats envenimés et sous les cris de « Honte à vous » lancés par l’opposition, le Parlement a voté à la première heure jeudi sa propre dissolution et la tenue de nouvelles élections, un mois après avoir prêté serment à la suite des législatives anticipées du 9 avril.

Les Israéliens retourneront aux urnes le 17 septembre.

C’est une rare défaite pour le flamboyant et orgueilleux M. Nétanyahou, au pouvoir sans interruption depuis 2009 et plus de 13 ans au total en comptant un précédent mandat. Elle illustre la vulnérabilité du premier ministre sortant, pas loin de passer pour imbattable, mais fragilisé par sa possible inculpation dans trois affaires de corruption présumée.

Ce fiasco remet en outre en question la présentation de l’initiative de l’administration américaine de Donald Trump pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Le gouvernement américain doit divulguer fin juin le volet économique de ce plan. Peut-il ensuite en mettre l’intégralité sur la table ? C’est un gros risque en pleine campagne israélienne.

Sans évoquer spécifiquement le plan, M. Trump, qui a multiplié les faveurs envers M. Nétanyahou, s’est permis une incursion de plus sur la scène israélienne.

Les Israéliens « sont de retour à la case élection. C’est dommage », a-t-il déclaré.

AFP

Benyamin Nétanyahou et Jared Kushner, jeudi à Jérusalem.

Au même moment, son gendre et conseiller Jared Kushner, cerveau du plan américain, rencontrait M. Nétanyahou à Jérusalem, troisième étape d’une tournée régionale.

L’avenir de M. Nétanyahou, réputé autant pour sa virtuosité que pour son instinct de survie, sera en jeu aux élections de septembre. L’issue de la consultation s’annonce, à cette heure, aussi incertaine que celle d’avril.

Semblant lancer la nouvelle campagne électorale, le premier ministre a appelé jeudi soir devant les journalistes à voter pour son parti, le Likoud, « afin d’éviter une fois encore qu’un gouvernement de droite ne puisse pas diriger le pays comme les électeurs le voulaient ».

Sauver sa peau

M. Nétanyahou, 69 ans, était ressorti le mieux placé du scrutin d’avril pour former le prochain gouvernement et battre le record de longévité de l’historique David Ben Gourion au poste de premier ministre, en s’appuyant sur une majorité parlementaire théorique de 65 voix sur 120.

En réalité, il n’a pas réussi dans le délai imparti — mercredi minuit — à former une coalition avec les partis de droite plus ou moins centristes ou radicaux et les formations ultra-orthodoxes représentant les quelque 10 % d’Israéliens observant rigoureusement les règles du judaïsme.

Plutôt que de voir le président Reuven Rivlin donner sa chance à un autre, il a fait le choix d’initier de nouvelles élections, prêtant davantage le flanc à l’accusation de s’accrocher à son poste pour sauver sa peau.

Depuis des mois, la presse rapporte les projets de M. Nétanyahou et de ses alliés de faire adopter des textes le prémunissant contre les poursuites.

Si le premier ministre s’était désisté au profit d’une autre personnalité de son parti de droite Likoud, « il aurait suffi d’une journée ou d’un coup de fil pour former un gouvernement Likoud/Bleu-blanc (la liste ayant fini à égalité avec le Likoud en avril), un gouvernement très stable de centre droit », selon le politologue Yohanan Plesner.

« Mais ce (n’est) pas une option tant que Nétanyahou dirige le Likoud », a-t-il dit.

Voix décisives

Le plan de route de M. Nétanyahou a dérapé sur le vieil antagonisme entre laïcs nationalistes et ultra-orthodoxes autour de l’exemption de service militaire dont bénéficient des dizaines de milliers d’étudiants des écoles talmudiques.

AFP

Avigdor Lieberman

Avigdor Lieberman, chef du parti nationaliste et laïc Israël Beiteinou, s’est arc-bouté sur l’exigence d’une loi annulant l’exemption systématique des ultra-orthodoxes. Une « question de principe » pour M. Lieberman. Une ligne rouge pour les ultra-orthodoxes.

« Nous voulons un gouvernement de droite et nationaliste, mais pas religieux », a déclaré M. Lieberman jeudi, « les Israéliens en ont marre de la capitulation devant les ultra-orthodoxes ».

En soirée, M. Nétanyahou a qualifié M. Lieberman de « serial-tombeur de gouvernements de droite ».

Selon un sondage diffusé par la chaîne publique Kan, Israël Beiteinou obtiendrait huit sièges en septembre — contre cinq remportés en avril —, des voix une nouvelle fois décisives pour former un gouvernement de droite.

Le parti de M. Nétanyahou obtiendrait le même nombre de sièges que ceux obtenus en avril (35).

Le premier ministre a mésestimé le danger Lieberman, selon le quotidien Israel Hayom qui lui est généralement favorable.

Depuis avril, les démêlés judiciaires de M. Nétanyahou et la publication des projets législatifs qui lui sont prêtés pour se protéger ont en outre réduit sa marge de manœuvre, juge Yohanan Plesner.

L’échec de M. Nétanyahou peut « signaler le début de la fin » pour lui, et « il n’est plus aussi fort que par le passé », estime Abraham Diskin, professeur de sciences politiques. Mais « Nétanyahou est une personnalité très forte, il ne se rend pas aussi facilement. Il va se battre ».