(Bagdad) Après des décennies de conflits sur son sol, l’Irak se trouve désormais pris au milieu des tirs croisés des États-Unis et de l’Iran, dont l’animosité croissante fait l’affaire de pays tiers favorables à une confrontation, estiment des experts.

Depuis le retrait unilatéral américain il y a un an de l’accord international sur le nucléaire iranien, suivi du rétablissement des sanctions économiques contre l’Iran, rien ne va plus entre Washington et Téhéran, tous deux alliés de Bagdad.

Le classement des Gardiens de la Révolution, armée d’élite du régime iranien, sur la liste américaine des organisations «terroristes» et le renforcement début mai de la présence militaire américaine au Moyen-Orient face à de présumées «menaces» iraniennes, ont encore envenimé la situation, jusqu’à faire craindre une confrontation armée.

L’administration américaine a jugé mardi «assez probable» que l’Iran soit derrière de mystérieux «actes de sabotage» contre des intérêts pétroliers dans le Golfe, mais a estimé que l’action déterminée des États-Unis avait permis d’éloigner les menaces.

«Rhétorique enflammée»

Voisin de l’Irak, l’Iran, via des groupes membres des forces paramilitaires irakiennes du Hachd al-Chaabi, a joué un rôle important dans la guerre de Bagdad contre le groupe djihadiste État islamique (EI). L’aviation militaire des États-Unis a été, elle, un atout crucial dans cette victoire.

De plus, l’Irak dépend en partie de l’Iran pour son approvisionnement en gaz et électricité et Washington ne cesse de l’appeler à diversifier ses fournisseurs.

Le premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a annoncé mardi l’envoi «très prochainement de délégations à Téhéran et Washington pour pousser à l’apaisement» et pour éviter que l’Irak ne devienne un théâtre de guerre.

Si les menaces et les invectives fusent entre Washington et Téhéran, les deux capitales ne cessent d’affirmer qu’elles ne veulent pas la guerre.  

Mais le tir d’une roquette dimanche sur la Zone verte à Bagdad, où siège entre autres l’ambassade des États-Unis, montre que «quelqu’un cherche à pousser Téhéran et Washington à la confrontation» en Irak, estime l’analyste politique irakien, Essam Al-Fili.

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L'ambassade américaine en Irak est située dans la Zone verte.

«Il y a celui qui veut combattre l’Iran en recourant à d’autres armes que les siennes, et celui qui veut faire de même contre les États-Unis», dit-il.

Le tir sur la Zone verte, non revendiqué, est survenu quelques jours après le rappel par Washington de ses diplomates non essentiels en Irak. Les États-Unis ont argué que des groupes armés irakiens pro-iraniens constituaient une menace «imminente» contre ce personnel.

Plusieurs groupes du Hachd al-Chaabi ont toutefois nié tout lien avec ce tir.

Le chef du groupe Assaïb Ahl al-Haq, Qaïs al-Khazali, y a vu «un intérêt israélien». Hadi al-Ameri, chef de la très puissante organisation pro-iranienne Badr, a lui affirmé «que les parties en conflit» ne voulaient «pas la guerre», et le Hezbollah irakien a jugé le tir «injustifié».

Pour le géopolitologue Karim Bitar, «la rhétorique enflammée des dernières semaines sert directement les intérêts des durs du régime en Iran, et ravit dans le même temps l’Arabie saoudite et Israël, qui sont déterminés à régler d’anciens comptes avec Téhéran».

Mais les États-Unis et l’Iran «savent très bien que cette guerre […] serait dévastatrice pour les deux pays», ajoute-t-il.

«Les enjeux sont tellement importants que les groupes pro-iraniens en Irak ne peuvent agir sans un feu vert explicite de Soleimani et des Gardiens», dit-il en allusion à Ghassem Soleimani, chargé des opérations extérieures des Gardiens de la révolution.

L’Iran accuse les alliés régionaux de Washington, comme l’Arabie saoudite, son principal rival au Moyen-Orient, de pousser l’administration américaine à adopter une ligne dure contre lui.

Pour des experts, la confrontation pourrait se traduire par des frappes limitées ou une guerre d’usure.

«Folie totale»

«Il n’y aura pas de guerre directe», souligne le politologue irakien Hicham al-Hachémi. Les États-Unis pourraient notamment «solliciter l’armée de l’air israélienne pour frapper les alliés de l’Iran en Syrie, au Liban et en Irak», dit-il, en allusion au Hezbollah libanais et aux mouvements chiites soutenus par l’Iran en Syrie et en Irak.

L’Irak paye «le prix» de l’animosité croissante irano-américaine, avance Fanar Haddad, analyste au Centre Moyen-Orient de l’université de Singapour. Mais il estime que l’escalade pourrait être au final «une tempête dans un verre d’eau».  

Pour M. Fili, «l’Iran a jusqu’à présent privilégié la retenue en Irak, pays vulnérable au niveau de la sécurité» et qui ne supporterait pas une nouvelle guerre.

«À moins qu’une folie totale ne prévale, une guerre ouverte et directe reste invraisemblable» et l’Iran et les États-Unis pourraient se limiter à s’envoyer «des messages sur la scène irakienne», résume Karim Bitar.