Les panneaux identifiant la future ambassade des États-Unis à Jérusalem en anglais, hébreu et arabe sont déjà installés près du bâtiment qui n'abrite aujourd'hui qu'une représentation consulaire américaine dans la ville sainte.

Le compte Twitter de l'ambassade a déjà changé de nom, remplaçant le suffixe « ta », pour Tel-Aviv, par « jlm », pour Jérusalem.

Pendant ce temps, l'actuelle ambassade s'apprête à recevoir ses nouvelles enseignes qui l'identifieront désormais comme la « succursale » diplomatique de Tel-Aviv. 

Voilà les seuls signes concrets du cadeau que le président Donald Trump a choisi d'offrir à Israël pour souligner le 70e anniversaire de sa création, demain.

L'importance de ce geste, qui rompt avec une politique en vigueur depuis plus de 50 ans, va évidemment bien au-delà de ces seules retombées pratiques. Pour comprendre tout le poids de cette décision, il faut remonter à 1967, année où, au terme d'une guerre éclair, le jeune État hébreu a réussi à s'emparer de toute la ville de Jérusalem, incluant la vieille ville et les quartiers orientaux qui étaient auparavant administrés par la Jordanie.

Israël a commencé par occuper Jérusalem-Est, avant de l'annexer unilatéralement avec tambours et trompettes par une loi adoptée en 1980.

Cette annexion contrevient aux lois qui gèrent les relations entre les États et n'a jamais été reconnue par la communauté internationale, rappelle Menachem Klein, politologue israélien expert de Jérusalem.

Les rares ambassades qui avaient choisi de s'installer à Jérusalem après 1967 ont plié bagage en 1980 pour déménager à Tel-Aviv, comme le demandait à l'époque le Conseil de sécurité de l'ONU. Les États-Unis, eux, n'avaient pas besoin de déménager leur représentation diplomatique : leur ambassade n'avait jamais eu d'adresse à Jérusalem.

Un demi-siècle et des poussières plus tard, Donald Trump vient de marquer « une rupture dramatique » avec cette retenue américaine, déplore Menachem Klein. Du point de vue israélien, cette décision signifie que Washington vient ni plus ni moins de reconnaître l'annexion de Jérusalem-Est. Quelques autres pays, comme le Guatemala, la Roumanie et le Paraguay, envisagent eux aussi de déménager leur mission diplomatique à Jérusalem.

Mais venant d'une superpuissance mondiale qui a longtemps joué un rôle politique majeur au Proche-Orient, la décision de Washington a infiniment plus de poids. Et donne un vernis de légitimité à une situation considérée comme illégitime depuis plus d'un demi-siècle.

De manière plus générale, les États-Unis donnent le feu vert « à l'annexion d'un territoire par la force », pratique condamnée par les lois internationales depuis la Seconde Guerre mondiale, observe Menachem Klein.

Avec son cadeau, Washington donne aussi un immense coup de pouce aux plus conservateurs et nationalistes parmi les politiciens israéliens, qui sentent aujourd'hui que le vent souffle en leur faveur et ne se gênent pas pour en profiter.

Exemple : le gouvernement israélien poursuit actuellement une course contre la montre pour influencer la réalité démographique de Jérusalem, de manière à accroître le poids de sa population juive, qui représente actuellement un peu plus de 60 %. Tandis que les Palestiniens, eux, représentent un peu moins de 40 %.

Des politiques démographiques que l'on pourrait décrire comme « créatives » visent à annexer à la ville sainte des colonies juives situées en territoires palestiniens voisins. Et à « soustraire » aux limites de Jérusalem certains de ses quartiers arabes.

Un projet de loi visant à réaliser le premier objectif a été temporairement suspendu l'automne dernier. Tandis qu'un autre projet de loi, excluant des quartiers arabes du territoire administratif de Jérusalem, vient de recevoir le feu vert.

La décision de Donald Trump ne peut que renforcer les architectes de ce projet d'un « Grand Jérusalem » qui est déjà en voie de réalisation.

Elle renforce aussi, plus globalement, la droite israélienne qui « roule sur des stéroïdes » depuis l'élection de Donald Trump, selon les mots de Menachem Klein. Ce professeur affilié à l'Université Bar-Ilan, qui a participé aux négociations de paix des années 90 à titre de conseiller sur la question de Jérusalem, est convaincu que cette dose hormonale a aussi encouragé le gouvernement israélien à se lancer dans une escalade militaire avec l'Iran.

Pour résumer : le gouvernement israélien « pense qu'il peut faire tout ce qu'il veut actuellement parce que Donald Trump est de son côté ».

Traditionnellement, les États-Unis ont toujours soutenu Israël, mais jamais avec une telle ferveur et aussi peu de sens critique. Et le gouvernement de droite actuellement au pouvoir en Israël en profite largement.

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Et que signifie le déménagement de l'ambassade des États-Unis pour les Palestiniens ?

D'abord, que les États-Unis, qui prétendent avoir un plan de paix pour le Proche-Orient et en ont confié la réalisation à l'envoyé spécial de la Maison-Blanche, Jason Greenblatt, ont carrément retiré la question centrale de Jérusalem du menu des discussions.

Cette position est inacceptable pour les Palestiniens. À leurs yeux, Washington ne peut tout simplement plus prétendre jouer le rôle de médiateur pour quelque plan de paix que ce soit.

« Sans entente, sans négociations et sans base pour reprendre des négociations, la voie est ouverte pour une explosion de violence », déplore Menachem Klein. Tout ça pendant que les hostilités avec l'Iran prennent de l'ampleur.

En d'autres mots, avec son cadeau d'anniversaire empoisonné, Donald Trump risque d'exacerber les tensions sur un terrain déjà explosif. Et de mener ses amis israéliens vers une confrontation potentiellement tragique.