Un employé du consulat général de France à Jérusalem a été inculpé lundi par la justice israélienne pour avoir participé à un trafic d'armes dans les Territoires palestiniens, accusation très rare, grave pour lui et délicate pour la diplomatie française.

Romain Franck, jeune contractuel travaillant comme chauffeur pour ce consulat, est accusé par Israël de s'être servi des privilèges associés aux activités diplomatiques pour faire sortir des dizaines d'armes de la bande de Gaza vers la Cisjordanie, pour le compte d'un réseau de trafiquants palestiniens.

Autorités israéliennes et françaises ont souligné la gravité des faits reprochés. Mais, une semaine avant la visite du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, elles ont mis en exergue qu'il aurait agi de son propre chef, et que les relations franco-israéliennes ne seraient pas affectées.

Romain Franck, âgé de 23 ou 24 ans selon les sources, « a agi pour l'argent, de son propre chef et à l'insu de ses supérieurs », a indiqué la sécurité intérieure (Shin Beth) israélienne.

Un juge du tribunal de Beer-Sheva lui a notifié son inculpation, ainsi qu'à cinq Palestiniens, complices présumés du trafic. Il a prolongé la détention de Romain Franck, arrêté mi-février, jusqu'au 28 mars dans un premier temps.

Assisté d'un interprète, le jeune homme, en tenue de détenu kaki, ne s'est quasiment pas exprimé au cours de cette brève audience très formelle suivie par au moins deux diplomates français.

Les circonstances de l'affaire restent troubles. Mais, sans avoir la même immunité qu'un diplomate, Romain Franck est soupçonné d'avoir mis à profit la relative protection que lui conférait son statut d'agent technique pour transporter dans un véhicule du consulat, en cinq voyages, environ 70 pistolets et deux fusils automatiques entre Gaza et la Cisjordanie.

« Il n'a pas nié »

La bande de Gaza est gouvernée par le mouvement islamiste Hamas, considéré comme « terroriste » par Israël, qui lui a livré trois guerres depuis 2008. L'enclave est soumise par Israël à un rigoureux blocus destiné à contenir le Hamas. Mais l'intérieur des véhicules diplomatiques est généralement exempt de contrôle.

Romain Franck recevait les armes d'un employé du Centre culturel français à Gaza, franchissait la frontière avec Israël, parcourait à travers le territoire israélien les quelques dizaines de kilomètres jusqu'en Cisjordanie, autre territoire palestinien, sous occupation israélienne, selon le Shin Beth.

Là, il remettait les armes à un individu qui les revendait à des trafiquants, selon la même source. Neuf personnes en tout, dont un agent de sécurité palestinien du consulat général, ont été arrêtées, dit le Shin Beth.

Jusqu'alors « il n'a pas nié les faits », dit-on de source diplomatique française.

Romain Franck avait été recruté au consulat général comme « volontaire international », statut qui permet à de jeunes adultes de bénéficier généralement d'un contrat d'un an, éventuellement renouvelable, pour une expérience professionnelle à l'étranger.

Le Shin Beth ne fait mention d'aucune motivation politique propalestinienne de sa part.

Cependant, ajoute-t-il, « c'est une affaire très grave, dans laquelle on a exploité de manière cynique l'immunité et les privilèges accordés aux représentants étrangers » pour se livrer au trafic d'armes susceptibles d'être employées contre des Israéliens.

Dans un contexte de persistance du vieux conflit israélo-palestinien et d'attentats anti-israéliens, Israël déploie beaucoup d'énergie pour démanteler les trafics d'armes, détruire les ateliers de fabrication et empêcher le Hamas, enfermé à Gaza, de porter la lutte en Cisjordanie.

« Relations excellentes »

L'affaire est potentiellement gênante pour la diplomatie française.

Le consulat général de Jérusalem n'a pas seulement une tâche consulaire, mais assure aussi une mission diplomatique sensible auprès de l'Autorité palestinienne, embryon d'État palestinien indépendant.

Sans avoir de contact avec le Hamas, considéré comme « terroriste » par l'Union européenne, les diplomates français se rendent régulièrement à Gaza, à la différence par exemple des Américains.

Le général israélien Poli Mordechai, qui supervise les activités israéliennes de nature civile dans les Territoires, a affirmé sur Facebook la nécessité de renforcer les procédures et la délivrance de permis, parce que « les organisations terroristes de Gaza ne reculent devant aucun moyen, qu'il s'agisse d'aide médicale ou internationale, pour servir leurs intérêts ».

Cependant, avec une évidente volonté de calmer le jeu, Israéliens et Français ont insisté sur leur coopération dans le dossier.

« Les relations avec la France sont excellentes et ne seront pas affectées par cette affaire », a dit un responsable israélien sous le couvert de l'anonymat.

Du côté français aussi, on s'employait à contrôler les dommages. Le Quai d'Orsay prend le sujet « très au sérieux ». Romain Franck avait fait l'objet de contrôles et il n'y avait rien à lui reprocher, assure une source diplomatique.

« C'est une affaire individuelle », dit-elle. Mais une enquête administrative sur place a été ordonnée, et « toutes les conclusions » en seront tirées, a souligné le Quai d'Orsay.