La démission surprise du Premier ministre libanais Saad Hariri, un protégé de l'Arabie saoudite et critique du Hezbollah proiranien, fait craindre que le Liban, pays aux équilibres fragiles, ne plonge dans de nouvelles violences.

D'après des analystes, cette démission aura des conséquences plus graves qu'une simple péripétie politique dans un pays habitué aux crises gouvernementales.

«C'est une décision dangereuse qui aura des conséquences plus lourdes que ce que le Liban peut supporter», affirme à l'AFP Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth.

En annonçant depuis la capitale saoudienne Riyad sa démission,Le premier ministre  Saad Hariri a dénoncé la «mainmise» et «l'ingérence» de l'Iran dans les affaires libanaises à travers son allié, le Hezbollah.

Ce puissant mouvement armé est membre du gouvernement de Saad Hariri formé il y a moins d'un an.

«Hariri a commencé une guerre froide qui pourrait dégénérer en guerre civile, sachant que du point de vue militaire, le Hezbollah n'a pas de concurrent au Liban», estime M. Khashan.

Au lendemain de la démission, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a cependant tenté de calmer le jeu et a minimisé les risques d'escalade entre camps libanais rivaux.

Il a accusé Riyad d'avoir contraint M. Hariri à la démission, tout en regrettant sa décision et en s'abstenant de s'en prendre à lui personnellement.

«Il est clair que la démission était une décision saoudienne qui a été imposée au Premier ministre Hariri. Ce n'était ni son intention, ni sa volonté, ni sa décision», a-t-il dit.

«Timing surprenant»

Le mouvement chiite est le seul parti libanais à ne pas avoir déposé les armes après la fin de la guerre civile (1975-1990) et son arsenal est le principal sujet de discorde dans le pays.

Le Liban est depuis plus d'une décennie profondément divisé entre le camp emmené par M. Hariri, un sunnite soutenu par l'Arabie saoudite, et celui dirigé par le Hezbollah, appuyé par le régime syrien et l'Iran.

Au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite mènent une guerre d'influence.

Les divisions au Liban ont éclaté au grand jour en 2005, année de l'assassinat de Rafic Hariri, père de Saad, un meurtre pour lequel le régime syrien a été pointé du doigt et cinq membres du Hezbollah mis en cause par un tribunal international.

Une série d'assassinats de personnalités libanaises hostiles à Damas suivit alors, puis une guerre destructrice entre le Hezbollah et Israël en 2006.

Durant les années suivantes, ces affrontements internes ont failli plonger le Liban dans une nouvelle guerre civile et le bras de fer entre camps rivaux a paralysé le pays pendant des mois.

Douze ans après l'assassinat de Rafic Hariri, les tensions restent vives et Saad Hariri a même évoqué dans son annonce de démission sa crainte d'être assassiné.

«Le timing et le lieu de la démission sont surprenants (...) mais la démission elle-même ne l'est pas», estime Fadia Kiwane, professeure en sciences politiques à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Opération contre le Hezbollah?

«Il y a des évènements qui se précipitent dans la région et montrent qu'on est à un tournant (...), qu'il y aura peut-être une confrontation mortelle entre l'Arabie saoudite et l'Iran», explique-t-elle. Dans ce contexte, «les deux principaux camps au Liban s'affronteront».

Depuis des semaines, un ministre saoudien, Thamer al-Sabhane, a fait parler de lui en lançant de violentes diatribes sur Twitter contre le Hezbollah. «Il faut punir le parti terroriste (...) en lui faisant face par la force», a-t-il écrit fin octobre.

Mais, au-delà d'un conflit interne, les analystes n'écartent pas la possibilité d'une offensive contre le Hezbollah, que ce soit de la part de l'Arabie saoudite ou, plus probable, de son ennemi juré: Israël.

«Hariri est en train de dire «il n'y a plus de gouvernement, le Hezbollah n'y est plus représenté'. Il légitime ainsi avec sa démission toute frappe militaire contre le Hezbollah au Liban», affirme M. Khashan.

«Il y a une crainte d'une opération contre le Hezbollah», renchérit Mme Kiwane.

Mais Hassan Nasrallah a écarté la perspective d'une guerre immédiate. «Israël ne s'embarquera pas dans une guerre contre le Liban à moins de garantir une guerre rapide, décisive et pas coûteuse».

Israël et le parti chiite se sont livré en 2006 une guerre destructrice. Depuis des mois, des dirigeants israéliens menacent de s'en prendre dans le cas d'un nouveau conflit au Hezbollah.