L'Afghanistan a signé jeudi un accord de paix avec l'un de ses pires criminels de guerre, Gulbuddin Hekmatyar, garantissant au « Boucher de Kaboul » encore en exil l'immunité et un possible retour en politique malgré les protestations.

Pour les habitants de la capitale afghane, dont quelques centaines ont manifesté pour dénoncer cet accord, Hekmatyar est celui qui, alors premier ministre, ordonna le bombardement aveugle de la ville au début des années 90, lui infligeant le maximum de victimes et de dégâts.

« Jamais nous n'oublierons le Boucher de Kaboul », clamaient les pancartes du rassemblement au centre-ville.

Mais sceller la paix avec son mouvement, le Hezb-i-Islami, deuxième principal réseau insurgé du pays, constitue une avancée symbolique pour le président Ashraf Ghani, alors que les pourparlers avec les talibans sont au point mort et que la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader.

« Ça fait 15 ans que l'Afghanistan échoue dans ses tentatives de négocier avec ces groupes, cet accord constitue donc un premier succès et peut-être un modèle pour les autres » groupes insurgés, a estimé l'analyste Haroun Mir, joint par l'AFP.

L'accord a été signé entre le Haut Conseil pour la paix, organisme gouvernemental chargé de négocier une réconciliation nationale, et une délégation du Hezb-i-Islami, censé désormais déposer les armes et muer en parti politique.

« Cet accord est signé après deux ans de négociations (...) Nous constatons à l'unanimité que ces négociations de paix sont parvenues à une heureuse conclusion », a déclaré le vice-président du Conseil, Habiba Sorabi, précisant que l'accord entrerait « en vigueur quand le président Ghani et Hekmatyar lui-même l'auront à leur tour officiellement paraphé ».

Né à Kunduz (nord), Hekmatyar, l'homme au turban noir aujourd'hui âgé de 67 ans, est un vétéran du djihad antisoviétique sunnite des années 80.

Chassé par les talibans, il aurait vécu les deux dernières décennies en exil, en Iran puis au Pakistan, d'où il a appelé en 2004 à la « guerre sainte » contre les États-Unis, se rangeant dans l'opposition au président Hamid Karzai.

Les États-Unis le maintiennent d'ailleurs sur la liste des « terroristes internationaux » - ce qui n'a pas empêché leur ambassade à Kaboul de saluer la conclusion de l'accord « comme un pas vers une résolution pacifique » du conflit afghan.

L'Union européenne et la Mission d'assistance des Nations unies à l'Afghanistan y ont vu également « un puissant signe d'espoir ».

L'accord en 25 points garantit au chef de guerre une immunité juridique pour « toutes les actions politiques et militaires du passé ». Le texte prévoit également la libération de prisonniers du Hezb-i-Islami en échange de son renoncement à toute activité militaire et à « tout lien ou tout soutien à des organisations terroristes ».



photo Rahmat Gul, AP

L'accord a été signé entre le Haut Conseil pour la paix, organisme gouvernemental chargé de négocier une réconciliation nationale, et une délégation du Hezb-i-Islami, censé désormais déposer les armes et muer en parti politique.

Massacres et tortures

Le texte est à ce titre dénoncé par les organisations de défense des droits de l'homme, d'autant qu'il ne devrait entraîner aucune amélioration immédiate de la situation sécuritaire en Afghanistan, principalement troublée par les talibans et l'organisation État islamique.

Pour Human Rights Watch, « le retour de Gulbuddin Hekmatyar après des décennies d'exil va conforter cette culture d'impunité que le gouvernement afghan et les bailleurs internationaux ont entretenue en renonçant à poursuivre les responsables des si nombreuses victimes (de) Hekmatyar et d'autres chefs de guerre qui ont dévasté le pays dans les années 1990 ».

Hekmatyar est accusé de nombreuses atrocités, rappelle HRW dans un communiqué, dont un bombardement particulièrement dévastateur en août 1992 qui a fait plus d'un millier de morts et 8000 blessés selon la Croix-Rouge, la disparition de nombreux opposants, et le recours à la torture dans des prisons clandestines.

Le Hezb-i-Islami est resté largement inactif récemment, sa dernière attaque à Kaboul remontant à 2013 - elle avait tué 15 personnes, dont cinq Américains.

S'exprimant après la signature, le négociateur en chef du Hezb-i-Islami Mohammad Amin Karim a assuré que « depuis l'ouverture des négociations, le but du Hezb-i-Islami était de parvenir à une paix immédiate, durable et nationale ».

« Nous avons appelé à un dialogue interafghan, avec les factions présentes en Afghanistan, et nous demandons à tous les groupes engagés dans des combats de reprendre les discussions de paix, quels que soient les objectifs poursuivis », a-t-il ajouté à destination des talibans.

De même, le vice-président Abdullah Abdullah a appelé sur Twitter « les talibans à choisir la paix plutôt que la violence ».

PHOTO SAEED KHAN, ARCHIVES AFP

Gulbuddin Hekmatyar, photographié en janvier 1994, en banlieue de Kaboul.