Invasion prématurée de l'Irak, plans britanniques pour l'après-guerre «complètement inadéquats», John Chilcot, président de la commission sur l'engagement en 2003 du Royaume-Uni en Irak a dressé mercredi un bilan accablant de l'ancien premier ministre Tony Blair.

L'ancien premier ministre avait ainsi promis à George W. Bush de le suivre sur l'Irak «quoiqu'il arrive», a établi le rapport de la commission long de 2,6 millions de mots et attendu depuis sept ans.

«Nous avons conclu que le Royaume-Uni avait décidé de se joindre à l'invasion de l'Irak avant que toutes les alternatives pacifiques pour obtenir le désarmement (du pays) ne soient épuisées. L'action militaire n'était pas inévitable à l'époque», a déclaré John Chilcot, président de la commission Chilcot en présentant les conclusions du rapport qui n'a pas pour objet de dire si l'intervention en Irak a été légale.

Il a dénoncé le fait que Londres se soit appuyé sur des informations des services de renseignement qui n'avaient pas été suffisamment vérifiées.

«Malgré les avertissements, les conséquences de l'invasion ont été sous-estimées. La planification et les préparatifs pour l'Irak d'après Saddam étaient complètement inadéquats», a ajouté M. Chilcot.

Commandé en 2009 et agrégeant les conclusions de l'audition de 120 témoins dont M. Blair et son successeur Gordon Brown, ce rapport qui devait initialement être rendu dans un délai d'un an est lui-même devenu controversé au fil des reports, poussant les familles excédées des soldats tués en Irak à fixer un ultimatum aux autorités, sous réserve de poursuites judiciaires.

Certains de ces proches ont d'ailleurs décidé de boycotter la présentation du rapport, dans un centre de conférence du centre de Londres, tandis que des manifestants se sont rassemblés à l'appel de la coalition Stop the War devant le bâtiment.

«Blair a menti, des milliers de personnes sont mortes», criaient les manifestants dont certains avaient enfilé un masque à l'effigie de l'ancien premier ministre et s'étaient peint les mains en rouge.

«Tony Blair est un criminel de guerre», a déclaré à l'AFP Michael Culver, un retraité de 78 ans qui appelle à la tenue d'un procès de «Nuremberg» pour les responsables politiques britanniques.

Le nom des 179 soldats britanniques morts pendant l'intervention britannique, entre 2003 et 2009, au cours de laquelle 45 000 Britanniques au total ont été engagés, ont été égrenés.

Plus tôt, des manifestants avaient déjà brandi une grande banderole proclamant «Blair doit être poursuivi pour crimes de guerre», devant le domicile de l'ancien Premier ministre.

M. Blair, chef du gouvernement britannique entre 1997 et 2007, est accusé d'avoir trompé sa population en affirmant que l'Irak possédait des armes de destructions massives, ce qui n'a jamais été avéré.

Des dizaines de milliers d'Irakiens sont morts lors de la guerre et des violences interconfessionnelles qui ont suivi.

Possible base pour un recours en justice

Un premier rapport officiel publié en 2004 avait conclu que Tony Blair avait exagéré devant le Parlement la menace représentée par le président irakien Saddam Hussein, même si son auteur, Robin Butler, a déclaré lundi que l'ex-premier ministre «croyait vraiment» à l'époque en ce qu'il disait.

Depuis, Tony Blair a dit plusieurs fois qu'il regrettait les vies perdues mais pas le fait que Saddam Hussein ait été renversé. L'an dernier, il s'est excusé pour «le fait que les informations données par les services secrets étaient fausses».

Avant la publication du rapport Chilcot, plusieurs députés avaient annoncé leur intention de s'en saisir pour lancer une procédure d'«impeachment», avec comme conséquence possible de le priver a posteriori de son titre de premier ministre.

Se fondant sur une loi utilisée pour la dernière fois en 1806 et considérée comme obsolète, l'initiative aurait surtout un caractère symbolique.

Les avocats des familles de 29 des soldats morts en Irak ont indiqué qu'ils allaient éplucher le rapport. «Il pourrait servir de base à une action en justice contre Blair, ses ministres ou le gouvernement en général», a déclaré le cabinet McCue and Partners à l'AFP.

Le retard pris dans la publication du document s'explique d'abord par le droit de réponse accordé à toutes les personnes mises en cause et par la question de la déclassification de documents secrets, notamment les échanges entre Tony Blair et le président américain George W. Bush.

L'intervention en Irak continue aujourd'hui à influer sur la politique britannique et explique les fortes réticences du Royaume-Uni à s'engager militairement depuis.

Si le Brexit «est l'événement politique le plus important pour les Britanniques depuis la Deuxième Guerre mondiale, l'invasion de l'Irak en 2003 n'est pas très loin», soulignait mercredi The Guardian.

«Ceux qui vivent sous le régime meurtrier de l'État islamique ou celui de Bachar al-Assad ont le droit de dire que c'est l'invasion intervenue il y a 13 ans qui a ouvert les portes de l'enfer», ajoute le quotidien.

Les principaux points du rapport Chilcot

Le rapport Chilcot sur l'engagement controversé du Royaume-Uni dans la guerre en Irak en 2003, publié mercredi, critique sévèrement l'action de l'ancien premier ministre Tony Blair et le rôle des services secrets.

En voici les principaux points:

Blair au service des États-Unis

Le rapport de la commission Chilcot, du nom de son président John Chilcot, dresse un portrait sévère du travailliste Tony Blair, qui était à l'époque à la tête de l'exécutif britannique.

- Le 28 juillet 2002, soit huit mois avant l'invasion de l'Irak, M. Blair écrit au président américain George Bush pour lui assurer qu'il serait avec lui «quoi qu'il arrive».

- M. Blair n'a pas non plus «insisté auprès du président Bush pour obtenir des assurances fermes sur les plans américains».

- L'épais rapport de quelque 2,6 millions de mots affirme également que M. Blair a engagé son pays dans une activité diplomatique telle qu'il aurait été «très difficile pour le Royaume-Uni de retirer par la suite son soutien aux États-Unis».

La guerre n'était pas l'ultime recours

- «En 2003, il n'y avait pas de menace imminente de Saddam Hussein. La stratégie de confinement pouvait continuer pour un certain temps».

- «Nous avons conclu que le Royaume-Uni avait choisi de se joindre à l'invasion de l'Irak avant que les options pacifiques pour un désarmement aient été épuisées. L'intervention militaire n'était alors pas l'ultime recours».

Quid des armes de destruction massive?

- «Il est maintenant clair que la stratégie en Irak a été conçue sur la base de renseignements et d'estimations déficientes. Elles n'ont pas été critiquées, et elles auraient dû l'être».

- «Les conclusions sur la gravité de la menace posée par des armes de destruction massive irakiennes ont été présentées avec une certitude qui n'était pas justifiée».

- Les chefs du renseignement britannique «aurait dû indiquer clairement à M. Blair que les informations n'avaient pas établi sans doute possible que l'Irak continuait à produire des armes chimiques et biologiques, ou que les efforts visant à fabriquer des armes nucléaires se poursuivaient».

- John Chilcot est plus prudent sur le dossier publié par les services de Tony Blair en septembre 2002, qui affirmait que l'Irak disposait d'armes de destruction massive susceptibles d'être déployées en 45 minutes.

«Il n'y a pas de preuve que des renseignements ont été insérés de manière inappropriée dans le dossier ou que (les services du premier ministre) aient influencé de manière inconvenante le texte».

Une guerre mal préparée

- «Le gouvernement a échoué à prendre en compte l'ampleur de la tâche nécessaire pour stabiliser, administrer et reconstruire l'Irak et les responsabilités qui allaient incomber au Royaume-Uni».

- «Le gouvernement n'était pas préparé pour le rôle dans lequel le Royaume-Uni s'est retrouvé à partir d'avril 2003. La plus grande partie de ce qui s'est mal passé à partir de là a pour origine ce manque de préparation».

- Le rapport note que «malgré les avertissements, les conséquences de l'invasion ont été sous-estimées».

- Le rapport constate aussi que les ressources militaires engagées ont été faibles et inadaptées.

«Nous avons trouvé que le ministère de la Défense s'était montré lent à répondre à la menace présentée par les engins explosifs improvisés et que les retards enregistrés pour fournir les engins de patrouille blindés adéquats n'auraient pas dû être tolérés».

179 soldats britanniques ont été tués dans le conflit, pendant les six ans d'engagement britannique jusque 2009.