Les Libanais ont voté dimanche pour les élections municipales, premier scrutin depuis six ans et test pour la société civile qui affronte pour la première fois la classe politique traditionnelle accusée de corruption et d'incompétence.

Si les résultats ne sont attendus que tard dans la nuit pour Beyrouth et deux gouvernorats de la région de la Békaa, l'ex-premier ministre Saad Hariri a revendiqué la victoire de la liste qu'il soutient dans la capitale.

«Les résultats sont en faveur de la liste des Beyrouthins», a-t-il lancé en soirée devant ses partisans.

Mais Irahim Mneimné, chef de la principale liste de la société civile baptisée Beirut Madinati («Beyrouth est ma ville»), ne s'est pas avoué vaincu, affirmant que la campagne civile «avait de très bons résultats».

Le taux de participation de près de 20% dans la capitale a déçu beaucoup qui espéraient un vote massif en raison de la présence pour la première fois d'une liste d'indépendants.

En soirée, le mouvement civil a dénoncé des violations et des fraudes au cours du scrutin qui se poursuivra jusqu'au 29 mai dans les cinq autres gouvernorats du pays.

Il s'agit des premières élections nationales organisées depuis 2010 dans un pays sans président depuis deux ans, sans nouveau Parlement depuis 2009, et qui est paralysé par des divisions politiques exacerbées par le conflit en Syrie voisine.

La grande nouveauté a été l'apparition de Beirut Madinati, une liste de 24 candidats indépendants qui a défié celle des politiciens traditionnels comme M. Hariri, dont le parti domine généralement la municipalité de Beyrouth.

«Faire bouger les choses» 

«Même si un seul candidat de Beirut Madinati gagne ce sera une victoire pour la société civile. Nous en avons marre de cette classe politique corrompue», a déclaré Elie, un employé de 43 ans, au sortir d'un bureau de vote à Beyrouth.

Mariam, une employée de 40 ans, a choisi, elle,  la liste de «cheikh Saad car elle représente les gens de Beyrouth».

Après la fermeture des bureaux de vote à 19h00 locales, la participation était faible à Beyrouth, le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk annonçant le chiffre non définitif de moins de 20%. Le taux était beaucoup plus important dans les deux gouvernorats de la Békaa où le Hezbollah est très influent, avoisinant les 50% selon le ministère.

Jusqu'à présent les listes pour les municipales étaient concoctées par les partis traditionnels souvent dirigés par d'anciens seigneurs de la guerre civile (1975-1990).

«Nous avons été capables de faire bouger les choses», a affirmé dans une conférence de presse en soirée Jad Chaaban, un porte-parole de Beirut Madinati.

Il a toutefois dénoncé des «fraudes», le transport de bulletins de vote dans des voitures civiles, ainsi que la participation de certains membres des services de sécurité dans le dépouillement des voix.

Les mouvements de la société civile ont pris de l'ampleur après la «crise des ordures» qui a exposé au grand jour en 2015 l'inaction des dirigeants, dénoncée dans des manifestations non partisanes inédites. 

Outsiders 

Beirut Madinati compte des employés, des enseignants, des journalistes, des pêcheurs et des artistes comme la célèbre réalisatrice Nadine Labaki (CaramelEt maintenant on va où?). Consciente d'être un «outsider», la liste espère bousculer le jeu et s'attaquer aux problèmes minant la vie quotidienne dans un pays où les familles politiques traditionnelles se partagent les postes depuis son indépendance de la France en 1943.

Le Liban souffre d'une déliquescence des infrastructures et des services publics avec de graves pénuries d'électricité et d'eau potable. Les Beyrouthins suffoquent dans les embouteillages qui paralysent une ville mangée par le béton et manquant d'espaces verts.

L'accumulation de tonnes de déchets après la fermeture de la principale décharge du pays l'été dernier et l'incapacité des deux camps rivaux participant au gouvernement à résoudre ce problème ont suscité un ras-le-bol inédit.

La classe libanaise est divisée entre le camp emmené par M. Hariri et soutenu par l'Arabie saoudite et les États-Unis et celui, appuyé par l'Iran et le régime syrien de Bachar al-Assad, dirigé par le puissant Hezbollah chiite.

Paradoxalement, ces rivaux se sont alliés pour les municipales de Beyrouth pour faire face à Beirut Madinati.

En raison du système électoral qui prévoit que chaque citoyen doit voter dans la localité d'origine de ses ancêtres, seuls 476 000 des 1,8 million d'habitants de la capitale sont inscrits sur les listes à Beyrouth.

Dans la Békaa, dominé en grande partie par le Hezbollah, les résultats électoraux devraient être sans surprise dans la plupart des localités.

Un autre mouvement issu de la société civile, «Citoyens et citoyennes dans un État», emmené par l'ex-ministre et économiste de gauche Charbel Nahhas participe au scrutin.

PHOTO AFP

Nadine Labaki dans un bureau de vote à Beyrouth, dimanche.