Un procès inéquitable, un tribunal non compétent, un accusé privé d'avocat, un crime qui n'en est pas un et une peine qui constitue de la torture : l'Arabie saoudite a enfreint ses propres lois en plus de ses obligations internationales dans le dossier de Raif Badawi, estime Avocats sans frontières Canada dans un mémoire qui sera rendu public aujourd'hui et dont La Presse a obtenu copie.

Le jugement rendu à l'encontre de Raif Badawi, condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour insulte à l'islam, « devrait être frappé de nullité » tant la procédure a été « entachée d'irrégularités », selon Avocats sans frontières Canada (ASFC).

L'organisation rendra public ce matin son Mémoire en faveur de la libération de Raif Badawi, fruit d'un travail de recherche de plusieurs mois visant à élaborer un argumentaire juridique pour défendre le blogueur saoudien, et qui pourra être utile à quiconque aura à intervenir dans le dossier.

« C'est essentiel d'avoir une lecture juridique du dossier », s'est réjouie Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie pour le Canada francophone, parlant d'un « travail vraiment important, fondé sur une analyse juridique, non partisan et non militant ».

Une quinzaine d'employés et de bénévoles d'ASFC, du Barreau du Québec, du cabinet d'avocats Lavery et du milieu de l'enseignement ont ainsi passé en revue une trentaine de documents, dont des lois et décrets de l'Arabie saoudite ainsi que des traités internationaux ratifiés par Riyad.

Le document de 16 pages, que La Presse a pu consulter, conclut que l'Arabie saoudite a non seulement « violé » ses engagements internationaux, mais a aussi « contrevenu » à sa propre législation dans cette affaire.

Ces conclusions mettent à mal la défense de Riyad, qui rejetait en mars dernier les critiques internationales concernant Raif Badawi, arguant que sa « propre Constitution, fondée sur la charia, garantit à l'homme ses droits ».

PROCÈS INÉQUITABLE

Raif Badawi n'aurait même pas dû être jugé par le tribunal pénal de Djeddah - qui a rendu le jugement initial - puisque le droit saoudien stipule que les plaintes liées aux questions de publications électroniques ne relèvent pas de la compétence des tribunaux de la Charia, dont fait partie le tribunal de Djeddah, mais bien de « comités spéciaux du ministère de la Culture et de l'Information », indique ASFC.

Le mémoire souligne également que Raif Badawi a été reconnu coupable de crimes... dont il n'était même pas officiellement accusé.

L'emprisonnement de l'avocat de Raif Badawi, en avril 2014, a par ailleurs privé le blogueur du « droit au défenseur de son choix », ce qui contrevient à la Charte arabe des droits de l'homme que l'Arabie saoudite a ratifiée et constitue une autre « violation du droit à un procès équitable », note ASFC.

De plus, lorsque la Cour suprême saoudienne a réexaminé son cas, l'été dernier, Raif Badawi n'a pu y faire entendre sa défense, rappelle le mémoire.

UN CRIME QUI N'EN EST PAS UN

Le mémoire d'ASFC remet même en question la légitimité de la mise en accusation initiale de Raif Badawi, puisque la Charte arabe des droits de l'homme garantit « le droit à la liberté d'opinion et d'expression », que seules la propagande haineuse ou la diffamation peuvent limiter.

Or « les propos qu'on reproche à monsieur Badawi sont bien loin de respecter le seuil minimal de "l'incitation à la haine ou à la détestation" », écrit ASFC, estimant que les publications de Raif Badawi « ne devraient pas constituer des délits et ne devraient en aucun cas être criminalisées ».

Finalement, ASFC souligne que la condamnation de Raif Badawi à recevoir 1000 coups de fouet constitue une autre violation des engagements internationaux de Riyad, cette fois en matière d'interdiction de la torture.

L'ambassade d'Arabie saoudite à Ottawa n'a pas donné suite à nos appels et à nos courriels.