Les attaques revendiquées par le groupe État islamique (EI) contre le gouvernement yéménite et la coalition arabe illustrent la montée en puissance du réseau djihadiste et compliquent encore plus la tâche de l'Arabie saoudite et de ses alliés, selon des experts.

L'EI a provoqué la surprise en signant ses premières attaques meurtrières mardi à Aden, dans le sud du Yémen, chasse gardée d'Al-Qaïda, et en ciblant pour la première fois le gouvernement et des troupes de la coalition anti-rebelles sous commandement saoudien.

Le groupe, très actif en Syrie et en Irak, a ainsi franchi une étape significative dans ses opérations au Yémen où l'Arabie, déjà empêtrée dans un conflit, se retrouve face à un nouvel ennemi.

«Daech (EI) essaie d'élargir son espace au Yémen en se posant ostensiblement comme un adversaire de la coalition» qui combat depuis mars des rebelles chiites Houthis accusés de liens avec l'Iran, explique Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l'islam contemporain.

Plus de 15 personnes ont été tuées dans les attentats suicide perpétrés mardi par l'EI contre le siège du gouvernement installé provisoirement dans un hôtel d'Aden et les deux autres contre des sites militaires de la coalition.

Cette opération spectaculaire permet à l'EI de «se démarquer une fois encore d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (Aqpa), après s'en être distingué dans le sang des attentats» contre des mosquées chiites, relève M. Filiu, en faisant référence à une série d'attaques suicide ayant fait des dizaines de morts depuis mars dans la capitale Sanaa.

Seul contre tous

Enfin, souligne l'expert, «l'attaque contre l'hôtel du chef de gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale offre à Daech la posture ''seul contre tous'' que le mouvement (d'Abou Bakr) Al-Baghdadi privilégie sur ses différents théâtres d'opérations».

Selon l'institut d'analyse stratégique The Soufan Group, «la guerre au Yémen est un laboratoire parfait pour un groupe (...) cherchant une expansion régionale» comme l'EI: «le groupe suit la stratégie mise en oeuvre en Irak et en Syrie, exploitant l'insécurité et l'instabilité».

Les spécialistes s'accordent à dire que les attaques de l'EI au Yémen compliquent davantage la tâche de la coalition arabe qui, en dépit des raids aériens et de l'envoi de milliers de soldats, n'est pas parvenue à faire plier les Houthis et leurs alliés, toujours maîtres du nord et de Sanaa.

Le royaume saoudien est régulièrement critiqué par des ONG pour les nombreuses «bavures» que la coalition commet lors de ses frappes aériennes. Depuis mars, quelque 5000 personnes ont été tuées et 25 000 blessées, dont de nombreux civils, selon l'ONU.

Les attaques à Aden «provoqueront probablement des débats au sein de la coalition» sur la stratégie à suivre, estime Jane Kinninmont, directrice adjointe du programme Moyen-Orient à l'institut Chatham House de Londres.

Sécurité saoudienne menacée

Il faudra sans doute, selon elle, que l'Arabie et ses alliés «mettent davantage l'accent sur la nécessité non seulement d'affronter l'alliance» entre les Houthis et le camp de l'ex-président Ali Abdallah Saleh, «mais aussi de reconstruire l'État yéménite, ce qui, malheureusement, est plus facile à dire qu'à faire».

En attendant, ajoute-t-elle, la poursuite du conflit constitue un «terrain fertile de radicalisation», alors que l'EI est un phénomène «nouveau» au Yémen.

Le gouvernement émirati, qui a perdu des soldats à Aden, a imputé les attaques aux «Houthis et à leurs alliés», sans mentionner l'EI. Mais des experts évoquent une autre hypothèse, à l'instar de Mathieu Guidère, spécialiste du Moyen-Orient et professeur d'islamologie à l'université de Toulouse (France).

«En réalité, ces attaques sont dues à des éléments tribaux de Daech ayant des connexions anciennes avec le camp (de l'ex-président) Saleh. Ce dernier a réactivé des connexions anciennes avec ces éléments pour détourner les efforts de la coalition vers la lutte antiterroriste et faire baisser la pression militaire sur son camp», assure M. Guidère.

«Si, après ces attaques, les Saoudiens tombent dans le piège et changent de priorité en ciblant Daech, le camp Saleh et les Houthis auront gagné un répit».

La stratégie saoudienne manque de lisibilité, estime également l'expert Neil Partrick, de l'institut Carnegie Endowment for International Peace. «L'absence d'objectifs clairs aggrave le vide sécuritaire au Yémen et mine potentiellement la sécurité nationale du royaume» saoudien, prévient-il dans une analyse.