Après la Suède, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, c'était au tour hier de la Belgique de faire sienne la cause de Raif Badawi en lui décernant un prix. Et le Canada? Dans une lettre expédiée à l'Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères dit que le gouvernement s'occupe activement du dossier. Certains en doutent toujours.

En février, l'Assemblée nationale du Québec a adopté à l'unanimité une motion exigeant la libération du blogueur Raif Badawi, emprisonné en Arabie saoudite. Le 1er avril, la Chambre des communes faisait de même. Instigateur de cette dernière mesure, le député libéral Marc Garneau se demande depuis ce que le gouvernement Harper attend pour passer à l'action.

«Après que les députés conservateurs ont eu voté pour notre motion, comme tous les autres députés, le ministre des Affaires étrangères Rob Nicholson a dit qu'il était prêt à demander la libération de M. Badawi. Mais nous n'avons pas encore vu d'actions en ce sens», a dit hier à La Presse l'ex-astronaute Marc Garneau, aujourd'hui député de Westmount.

Arrêté en 2012, le blogueur Raif Badawi est en prison depuis plus de trois ans. En mai 2014, il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement, 1000 coups de fouet et une amende de près de 300 000$ pour avoir «insulté l'islam» et violé la loi sur la cybercriminalité.

Le 7 janvier, le blogueur a reçu les 50 premiers coups de fouet, auxquels il dit avoir «survécu par miracle», dans la seule lettre qu'il a pu écrire de prison. Son beau-frère, un avocat qui le défendait devant une cour d'appel, est lui aussi derrière les barreaux depuis le 15 avril 2014. La femme et les trois jeunes enfants de Raif Badawi ont trouvé refuge à Sherbrooke.

Libération demandée

Dans la motion adoptée au début du mois à Ottawa, les députés fédéraux «dénoncent le traitement répréhensible de Raif Badawi» et demandent au gouvernement d'Arabie saoudite de faire «cesser sa punition et de le libérer immédiatement». La motion adoptée au Québec en février était semblable.

Dans une lettre que M. Nicholson a fait parvenir le 31 mars au président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, et que La Presse a obtenue, le ministre des Affaires étrangères offre quelques détails sur les actions entreprises au nom de M. Badawi par le gouvernement de Stephen Harper.

Affirmant que le Canada est «vivement préoccupé par la détention et la condamnation du militant saoudien pour les droits de la personne», il note que son prédécesseur John Baird a discuté du dossier de M. Badawi avec le prince saoudien Turki Al-Faisal en janvier 2015 à Davos. Ce dernier ne fait pas partie du gouvernement. «Le Canada a entrepris des démarches auprès de l'ambassadeur d'Arabie saoudite à Ottawa, et l'ambassadeur du Canada à Riyad a rencontré le président de la Commission saoudienne des droits de la personne», continue le ministre Nicholson.

Mauvaise cible

La porte-parole d'Amnistie internationale, l'organisation qui fait campagne depuis deux ans pour faire libérer le blogueur, s'est dite amèrement déçue de la réponse du ministre des Affaires étrangères. «Nous sommes amers et mécontents. Dans sa lettre, le ministre parle de l'importance de faire la promotion de la liberté de religion, alors que ce qui nous préoccupe, dans le cas de Raif Badawi, est la liberté d'expression et la torture», a dit hier Anne Sainte-Marie, jointe par La Presse.

«On va répondre à M. Nicholson pour lui dire d'en faire plus. On veut aussi que Stephen Harper s'implique personnellement. C'est une honte que le premier ministre du Canada n'ait jamais fait de déclaration officielle alors que la famille de Raif Badawi est ici, au Canada», tonnait hier Mme Sainte-Marie.

Tollé international

La porte-parole d'Amnistie note que plusieurs pays, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont tenu des discours plus fermes que celui du Canada dans l'affaire Badawi. La Suède est allée jusqu'à mettre un terme à sa collaboration militaire avec l'Arabie saoudite pour protester contre le viol des droits de la personne dans la pétromonarchie. Le Parlement européen a aussi haussé le ton.

Hier, la plateforme bruxelloise pour le journalisme a annoncé qu'elle décernerait son prix de la liberté d'expression au blogueur le 3 mai, lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

Par ailleurs, cette semaine, Samar Badawi, la soeur de Raif Badawi et la femme de son avocat emprisonné, Waleed Abu al-Khair, a lancé un cri du coeur dans le magazine Paris Match.

S'adressant à ses concitoyens saoudiens, elle leur demande de ne pas fermer les yeux sur l'oppression du régime en place. «Souvenez-vous que l'histoire n'oublie pas. Elle chantera les louanges de ceux qui se sont battus pour la liberté et jettera aux oubliettes la mémoire de ceux qui succombent à une vie d'humiliations et de servitude», écrit Samar Badawi.

- Avec la collaboration de Serge Laplante