Le Conseil de sécurité de l'ONU a fait montre de fermeté en imposant mardi un embargo sur les armes contre les rebelles chiites au Yémen, mais le scepticisme demeure quant aux effets de cette première résolution depuis le début de la campagne aérienne saoudienne.

Le pays est soumis depuis vingt jours à des raids visant les rebelles houthis et leurs alliés, des militaires restés fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh. Les centaines de pertes civiles ont de nouveau été dénoncées par des responsables des Nations unies.

Les raids aériens et les combats ont fait 52 morts mardi, majoritairement des Houthis, dans le sud, selon diverses sources.

Signe de la déliquescence de l'État, des hommes armés de tribus sunnites du sud se sont emparés, dans le Golfe d'Aden, de l'unique terminal gazier du Yémen, celui de Belhaf, qui assure 30% des revenus publics.

La résolution de l'ONU somme les miliciens chiites de se retirer des zones qu'ils ont conquises depuis qu'ils ont lancé pendant l'été 2014 une offensive, à partir de leur fief dans le nord, qui leur a permis de s'emparer de la capitale Sanaa et de vastes régions du pays.

Les rebelles ont pris le pouvoir en janvier à Sanaa, poussant à la fuite le président Abd Rabbo Mansour Hadi, avant d'avancer dans le sud où ils ont atteint la ville d'Aden le 26 mars, jour du début d'une opération aérienne arabe conduite par le royaume sunnite saoudien.

Quatorze des 15 pays membres du Conseil de sécurité ont voté en faveur de la résolution. La Russie s'est abstenue.

La résolution, mise au point par des pays du Golfe et parrainée notamment par la Jordanie, demande à «toutes les parties» au conflit de négocier dans les plus brefs délais une «cessation rapide» des hostilités.

Mais elle n'impose pas à la coalition arabe qui combat les Houthis, soutenus par l'Iran, de suspendre les raids aériens.

Tout au plus exhorte-t-elle les combattants à préserver la population civile et charge-t-elle le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon de «redoubler d'efforts pour faciliter la livraison de l'aide humanitaire».

«Soutien» aux raids, selon Riyad 

À Riyad un porte-parole de la coalition, le général Ahmed al-Assiri, a estimé que l'embargo était «avant tout une victoire pour le peuple yéménite». Pour l'ambassadeur saoudien à l'ONU Abdallah al-Mouallimi, la résolution fournit «un soutien sans équivoque» à l'offensive militaire de la coalition.

Le Conseil de sécurité s'était contenté jusqu'ici de proclamer son soutien au président légitime Hadi, réfugié en Arabie saoudite.

Avant le début de la campagne aérienne, il avait imposé des sanctions contre deux commandants houthis et contre l'ex-président Saleh. Le gel de leurs avoirs et l'interdiction de voyage n'ont pas infléchi ces acteurs de la crise yéménite dans leur conquête du pouvoir.

Mardi, le Conseil a pris les mêmes sanctions contre le chef des Houthis Abdel Malek al-Houthi et contre le fils de l'ex-président, Ahmed Ali Abdallah Saleh.

Les États-Unis lui ont emboîté le pas en annonçant leurs propres sanctions financières contre les deux hommes.

Néanmoins des diplomates du Conseil se montrent sceptiques sur ces mesures. Ils rappellent que, selon des experts de l'ONU, le Yémen compte déjà plus de 40 millions d'armes et que les Houthis ne voyagent pas régulièrement, ni ne disposent d'importants comptes bancaires à l'étranger.

Quant à l'embargo sur les armes, l'Iran qui est soupçonné malgré ses démentis d'en fournir aux Houthis est déjà sous le coup d'un embargo. Ce qui n'a pas empêché Washington d'exhorter l'Iran à le respecter.

Téhéran, qui condamne la campagne aérienne mené par son rival saoudien, a proposé de son côté un «cessez-le-feu, suivi d'un dialogue incluant toutes les parties et facilité par d'autres», selon le ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif.

L'ambassadeur russe à l'ONU Vitali Tchourkine a souligné que Moscou aurait préféré que «l'embargo sur les armes soit total», c'est-à-dire concerne les deux camps et pas seulement les Houthis.

Il a aussi estimé que la résolution n'insistait pas assez sur l'urgence d'une trêve humanitaire.

Le Haut commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a demandé une enquête sur les pertes civiles au Yémen où 736 morts ont été enregistrés depuis le début de l'escalade du conflit.

Il a déploré «le lourd bilan des civils tués».

Mais les chiffres réels sont plus élevés car de nombreux corps ne sont pas envoyés dans les centres médicaux, d'après l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les expatriés continuent à fuir la guerre. L'ambassadeur américain à Djibouti Tom Kelly a indiqué mardi que 178 Américains et 125 non-Américains étaient à ce jour arrivés à Djibouti à bord de 12 bateaux et d'un avion.

Al-Qaïda au Yémen a annoncé la mort d'un de ses idéologues en chef, Ibrahim al-Rubaish, tué lundi dans une attaque par un drone américain, signe que les États-Unis continuent, malgré le conflit, leur action contre le réseau extrémiste.

Des tribus s'emparent de l'unique terminal gazier

Des combattants de tribus ont affirmé mardi s'être emparés de l'unique terminal gazier du Yémen, à Belhaf (sud), dont ils disent assur er la sécurité sans pour autant entraver les affaires de la société qui l'exploite.

À Paris, le groupe français Total, qui détient près de 40 % de Yemen LNG, a assuré que cette société avait toujours le contrôle du terminal situé sur le golfe d'Aden.

«Nous avons pris le contrôle de la sécurité des installations de Belhaf et déployé nos hommes sur plusieurs points de contrôle» que tenait auparavant l'armée, a déclaré à l'AFP un chef tribal, Nasser Bahaj.

«Ces points de contrôle s'étendent sur 50 km autour du site», a ajouté ce dignitaire qui disait être présent dans l'après-midi à Belhaf.

Une source militaire a indiqué que des tribus avaient pris le contrôle du terminal après la reddition de l'unité de l'armée chargée de sa protection.

La compagnie qui exploite le site, Yemen LNG, a simultanément annoncé la suspension de «toutes ses opérations de production et d'exportation» au terminal en raison de l'aggravation de la situation.

«Des hommes armés de tribus ont pris le contrôle du terminal gazier de Belhaf (...) après notre retrait» du site, a déclaré à l'AFP un des militaires chargés de la sécurité.

Une source tribale a précisé que «les quelque 400 soldats qui étaient déployés au terminal ont déposé les armes et se sont retirés». «Nos hommes ont pénétré dans le port et dans les bureaux de Yemen LNG», selon lui.

Les tribus sunnites locales se sont engagées à «assurer la sécurité des installations du site», a-t-elle ajouté.

À Paris, un porte-parole du groupe Total a déclaré: «Yemen LNG nous informe qu'aucune intrusion dans le périmètre de l'usine n'a été constatée. La sécurité du site est maintenue».

Le chef tribal a confirmé que «des fonctionnaires de Yemen LNG se trouvaient toujours au terminal».

«Et nous n'allons pas nous ingérer dans leurs affaires, car notre problème n'est pas avec la compagnie, mais avec les militaires et les gardiens qui sont favorables aux (rebelles) Houthis et à (l'ex-président) Ali Abdallah Saleh».

Des attaques d'Al-Qaïda font 25 morts

Une attaque-suicide et des combats ont fait au moins 25 morts, dont 21 rebelles, mardi dans la province d'Abyane, dans le sud du Yémen, ont indiqué des sources militaires qui ont imputé l'attentat à Al-Qaïda.

Douze militaires alliés aux Houthis ont été tués dans une attaque-suicide contre leur position au nord de Loder. Le kamikaze a pris pour cible une école utilisée comme base par ces militaires restés fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh, a-t-on ajouté de mêmes sources.

Ces sources militaires ont attribué l'attentat au réseau extrémiste sunnite Al-Qaïda, bien implanté dans le sud et le sud-est du Yémen.

Elles ont aussi indiqué que la rébellion préparait une offensive pour s'emparer de Loder, ville contrôlée actuellement par les «comités populaires» qui sont composés de combattants favorables au président Abd Rabbo Mansour Hadi, réfugié en Arabie saoudite.

Des accrochages ont éclaté à l'ouest de la ville et se sont soldés par la mort de neuf Houthis et de quatre membres des «comités populaires», selon des sources militaires et locales.

Les «comités populaires» ont fait prisonniers cinq soldats, portant à 40 le nombre de Houthis et de militaires rebelles capturés par les forces pro-Hadi dans la région, a indiqué un responsable local.

L'ONU veut une enquête sur les pertes civiles

Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a demandé mardi une enquête sur les pertes civiles au Yémen où 736 morts ont été enregistrées depuis le début de la récente escalade du conflit.

«Toute atteinte présumée au droit international doit faire l'objet, de toute urgence, d'une enquête afin de garantir le droit des victimes à la justice et aux réparations et de s'assurer que de tels incidents ne se reproduiront pas», a souligné M. Zeid, cité dans un communiqué. Ce responsable, de nationalité jordanienne, a à cet égard déploré «le lourd bilan des civils tués».

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a révisé à la hausse mardi le bilan des personnes tuées au Yémen «depuis le début de l'escalade du conflit» à 736 morts et 2719 blessés (bilan allant jusqu'au 12 avril).

Mais les chiffres réels sont plus élevés, car de nombreux corps ne sont pas envoyés dans les centres médicaux, a averti un porte-parole de l'OMS.

Selon le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, «en plus de centaines de combattants, au moins 364 civils ont perdu la vie depuis le 26 mars, parmi lesquels au moins 84 enfants et 25 femmes».

«Ces derniers jours, plusieurs frappes aériennes effectuées par des forces de la coalition ont frappé des zones d'habitation et des maisons de civils à Amran, Taiz, Ibb, Aljawf et Sa'da», dénonce le Haut-Commissariat.

Au cours des trois dernières semaines, au moins 52 bâtiments publics ont ainsi été partiellement ou entièrement détruits par les bombardements, notamment aériens, et autres tirs, selon l'ONU.

Huit hôpitaux ont été touchés, ainsi que 17 établissements scolaires, trois aéroports, une centrale électrique, des ponts, des usines et des mosquées.

«Toutes ces attaques doivent faire l'objet d'une enquête approfondie et transparente par les forces de la coalition», a demandé le Haut-Commissariat.

Plus de 121 000 personnes ont été déplacées à l'intérieur du Yémen par les violences en cours, venant s'ajouter aux plus de 330 000 déjà déplacées sur le territoire de ce pays avant la crise actuelle, selon l'ONU.