La coalition arabe intervenant au Yémen a affirmé vendredi avoir neutralisé les capacités aériennes des rebelles chiites soutenus par des unités de l'armée fidèles à l'ex-président Ali Abdallah Saleh, qui a appelé à un cessez-le-feu au second jour de l'intervention dirigée par Ryad.

Les forces anti-gouvernementales ont pris depuis septembre plusieurs régions du Yémen, dont la capitale Sanaa, et avançaient ces derniers jours vers Aden, menaçant le président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui s'était réfugié dans cette grande ville du sud après avoir fui Sanaa.

Des pays occidentaux et la plupart des pays arabes ont serré les rangs derrière l'Arabie saoudite, qui dit s'opposer à une «agression» iranienne, et réaffirmé leur soutien à M. Hadi, arrivé vendredi en Egypte à la veille d'une sommet arabe à Charm el-Cheikh.

L'Unesco a appelé les parties au conflit à éviter de cibler le patrimoine culturel «inestimable» du Yémen, ancienne Arabia Felix (Arabie heureuse) qui regorge de trésors architecturaux, dont trois sites figurant sur la liste du patrimoine mondial de l'humanité.

Depuis le début jeudi de l'opération «Tempête décisive», 39 civils ont péri dans les frappes, selon des responsables des services de santé à Sanaa, contrôlés par les Houthis. Ce bilan n'a pu être confirmé de source indépendante.

 Nouveaux raids nocturnes 

«L'espace aérien est totalement sous contrôle des forces de la coalition» --qui comprend neuf pays dont cinq du Golfe--, a déclaré vendredi son porte-parole, le général Ahmed Assiri, lors d'un point presse à Ryad. «Il n'y a eu (vendredi) aucun mouvement de l'aviation yéménite» après que la coalition a «détruit au sol les avions» de combat des rebelles et de leurs alliés jeudi au premier jour des raids.

Le porte-parole a précisé que la base aérienne d'Al-Anad, la plus importante du Yémen, avait été de nouveau visée vendredi «pour empêcher les Houthis d'utiliser» cette infrastructure située à 50 km au nord d'Aden.

En soirée, ce sont des rampes de lancement de missiles à l'aéroport international de Sanaa qui ont été prises pour cibles lors de nouveaux raids, ainsi que le complexe du palais présidentiel et plusieurs sites militaires autour de la capitale, selon des habitants.

A Sanaa comme à Dhaleh (sud), également survolée par des avions de combats, les rebelles ont riposté par des tirs de la DCA.

Au moins 21 Houthis ont été tués vendredi quand leurs véhicules ont été pris sous un feu nourri à Al-Waht, zone tribale à 15 km au nord d'Aden, selon un responsable local.

A Aden, les rebelles chiites étaient engagés dans des accrochages avec des membres de «Comités populaires» anti-Houthis, selon des sources concordantes. Et au moins huit personnes ont été tuées dans des affrontements à l'aéroport d'Aden.

Selon des témoins, la situation est chaotique à Aden. Des hommes armés font la loi dans plusieurs quartiers, où ils bloquent les routes avec des pierres et des troncs d'arbres. Des unités de l'armée ont abandonné leurs campements, laissant parfois des stocks d'armes à la merci de pilleurs. Des dizaines de jeunes se sont ainsi servis dans un dépôt d'armes dans une caserne désertée, selon une source de sécurité.

Les commerces sont restés fermés vendredi dans la grande ville du sud, a rapporté un correspondant de l'AFP.

Arrêt simultané des opérations 

Dans un communiqué, l'ex-président Saleh qui bénéficie, trois ans après avoir été contraint de quitter le pouvoir, d'importants soutiens au sein de l'armée, a appelé à un arrêt «simultané» des opérations militaires pour favoriser une reprise du dialogue inter-yéménite sous le parrainage de l'ONU, proposant qu'il se tienne aux Emirats arabes unis.

L'intervention militaire de la coalition arabe a été condamnée jeudi par le chef des rebelles, Abdel Malek al-Houthi, qui a dénoncé une «invasion».

L'Iran a mis en garde contre une propagation du conflit, son président Hassan Rohani dénonçant une «agression» contre le Yémen.

Le chef du Hezbollah libanais pro-iranien, Hassan Nasrallah, a fait écho vendredi à ces déclarations en assurant dans un discours que Ryad serait «vaincue» au Yémen.

L'ambassadeur saoudien à Washington, Adel al-Jubeir, a affirmé que son pays devait «faire face à l'agression de l'Iran» qui veut «dominer la région».

Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a lui déclaré vendredi à la chaîne France 24 que le soutien de l'Iran aux Houthis n'était «pas légitime» dans la mesure où «il y a un président en place qui ne doit pas être chassé dans ces conditions».

En pleines négociations sur le nucléaire avec Téhéran, les Etats-Unis ont eux annoncé «un soutien logistique et de renseignement» à l'opération arabe et le Royaume-Uni «une aide politique, logistique et technique» à l'Arabie saoudite.

La Maison Blanche s'est déclarée inquiète des «activités iraniennes» au Yémen, parlant d'informations sur «le transfert iranien d'armes» dans ce pays.

«Une nuit d'horreur»

De nombreux véhicules montés de canons de la DCA circulaient à Sanaa, mettant en danger la sécurité de la population, et des sources de sécurité ont fait état de huit civils blessés par l'explosion sur un marché d'un projectile de la DCA.

Signe de la peur qui règne dans la capitale, des habitants se terrent chez eux quand le soir arrive. «Nous avons passé une nuit d'horreur et d'hystérie», déclare Mohammed al-Jabahi, 32 ans, en rapportant les survols incessants d'avions et des tirs de DCA.

Jeudi soir, de fortes explosions ont secoué la capitale, où la défense anti-aérienne a tiré après des raids contre une base à l'entrée ouest de la capitale, ont indiqué des témoins. Une base militaire près de Taëz (sud) et la base aérienne d'Al-Anad ont été aussi visées.

Les premières frappes de l'opération «Tempête décisive» ont été qualifiées de «succès» à Riyad par un porte-parole de la coalition qui regroupe une dizaine de pays principalement du Golfe.

Ces frappes se prolongeront jusqu'à ce que les «objectifs» soient atteints, a-t-il ajouté en écartant une offensive terrestre dans l'immédiat.

Dans sa première réaction aux raids, le chef des rebelles, Abdel Malek al-Houthi, a condamné une «invasion» et averti que les «Yéménites ne vont pas rester sans réagir».

L'Iran a mis en garde contre une propagation du conflit, son président Hassan Rohani dénonçant une «agression»  contre le Yémen. Vendredi, son ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a répété que «toute action militaire contre un pays indépendant est condamnable». Le «seul résultat est une aggravation de la crise et plus de morts parmi les innocents».

«Agression» iranienne

«Les Iraniens sont ceux qui s'ingèrent dans les affaires des pays arabes, que ce soit au Liban, en Syrie, en Irak, et au Yémen, ce que nous ne pouvons pas tolérer», a déclaré l'ambassadeur saoudien à Washington, Adel al-Jubeir, sur Fox News. «Nous devons faire face à l'agression de l'Iran» qui veut «dominer la région».

En pleines négociations sur le nucléaire avec Téhéran, les États-Unis ont exprimé leur appui à l'intervention saoudienne et annoncé «un soutien logistique et de renseignement» avec notamment des avions ravitailleurs et des avions-radars Awacs.

La Maison-Blanche s'est déclarée elle aussi inquiète des «activités iraniennes» au Yémen, parlant d'informations sur «le transfert iranien d'armes» dans ce pays.

Selon des experts, les raids aériens de la coalition pourraient avoir des résultats limités sans une intervention terrestre qui reste peu probable en raison des risques d'escalade avec Téhéran et d'enlisement.

De plus pour John Marks, expert du Moyen-Orient à l'institut Chatham House, «se contenter d'écraser les Houthis changera certes la dynamique des factions», compliquée au Yémen, mais cela pourrait «favoriser des groupes ultra-radicaux sunnites».

Il faisait allusion aux réseaux Al-Qaïda, implanté dans le sud-est du pays, et au groupe armé État islamique (EI) qui a revendiqué ses premières attaques meurtrières la semaine dernière à Sanaa.

Le dilemme du Pakistan

Le Pakistan est prêt à défendre «l'intégrité territoriale» de l'Arabie saoudite «peu importe le prix», mais pas nécessairement à intervenir au Yémen contre les milices chiites Houthis au sein de la coalition menée par Riyad, a déclaré vendredi son ministre de la Défense.

Selon l'agence officielle saoudienne Spa, le Pakistan fait partie des pays membres de l'opération «Tempête décisive» qui a fait près d'une quarantaine de morts depuis son lancement il y a deux jours.

Mais vendredi, alors que les raids aériens se poursuivaient, le ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Asif, affirmait qu'aucune décision n'avait été prise concernant une participation du Pakistan à cette opération visant à soutenir le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi menacé par les rebelles Houthis.

«Nous ne voulons pas être impliqués dans une prolifération (du conflit), nous allons tenter de le contenir», a déclaré M. Asif qui a par ailleurs annoncé un report «d'un jour ou deux», après la réunion de la Ligue arabe, de la visite en Arabie saoudite, prévue vendredi, d'une délégation pakistanaise.

«Nous ne participons pas et ne participerons à aucun conflit divisant le monde musulman», a ajouté M. Asif. Mais, «s'il y a une quelconque menace qui pèse sur la souveraineté ou l'intégrité du territoire de l'Arabie saoudite, le Pakistan défendra (son allié) peu importe le prix», a prévenu le ministre.

Le Pakistan cultive adroitement le flou concernant sa participation ou non au sein de l'opération de son allié l'Arabie saoudite contre des rebelles chiites au Yémen, un exercice d'équilibriste lié à ses craintes d'une exacerbation des violences sectaires sur son propre sol.

Le Pakistan et l'Arabie saoudite sont des alliés de longue date. Le Pakistan avait aidé l'Arabie saoudite à créer sa force de l'air dans les années 60. Dans les années 80, l'Arabie saoudite avait financé des combattants basés au Pakistan afin de lutter contre l'invasion soviétique en Afghanistan.

Aujourd'hui encore, l'Arabie Saoudite fournit du pétrole et une précieuse assistance financière au Pakistan, seul pays musulman doté de l'arme nucléaire, qui l'assiste de son côté en matière militaire.

«Ils (les Pakistanais) n'ont pas le luxe de dire non aux Saoudiens», explique ainsi à l'AFP le général pakistanais à la retraite, Talat Masood. «Il y a aussi une certaine disposition favorable de la part de "l'establishment" militaire, qui cherche à tirer un gain financier de la situation actuelle».

Craintes de tensions sunnites-chiites

Mais une intervention contre des rebelles chiites au Yémen risque toutefois d'irriter l'Iran, pays voisin du Pakistan dont le projet de gazoduc conjoint bat de l'aile, et d'exacerber les tensions déjà vives entre la majorité musulmane et la minorité chiite.

Les chiites représentent environ 20 % de la population du Pakistan, ce qui confère à ce géant de près de 200 millions d'habitants, le titre de deuxième pays comptant le plus de chiites, après l'Iran.

Dans un éditorial, le grand quotidien pakistanais Dawn mettait ainsi en garde vendredi contre une participation à la mission saoudienne, appelant plutôt Islamabad à jouer un rôle diplomatique dans l'espoir de rapprocher son allié saoudien et son voisin iranien, opposé à l'opération au Yémen.

L'opposant pakistanais Imran Khan invitait vendredi le gouvernement à jouer les «médiateurs» entre l'Arabie saoudite et l'Iran plutôt que de s'engager militairement dans cette crise au Moyen-Orient. Mais au même moment dans les rues d'Islamabad, des islamistes appelaient le gouvernement à défendre «l'ami» saoudien.