La libération, il y a trois jours, de la cofondatrice du blogue qui a valu la prison à Raif Badawi est loin de susciter l'exaltation dans les rangs d'Amnistie internationale, où l'on continue de se méfier du régime «imprévisible» de l'Arabie saoudite.

Souad al-Shammari, qui a lancé le site Free Saudi Liberals avec Raif Badawi, aura donc passé environ 90 jours dans une prison pour femmes de la ville de Jeddah, dans l'ouest de l'Arabie saoudite, avant d'être libérée. «Elle est sortie, tout à fait», a confirmé hier Béatrice Vaugrante, directrice générale de la section Canada francophone d'Amnistie internationale.

Bonne nouvelle, mais...

«C'est une bonne nouvelle. Et sa libération peut donner de l'espoir», a-t-elle aussi concédé. «Mais avec l'Arabie saoudite, mieux vaut garder la tête froide. On ne sait jamais ce qui peut arriver», a-t-elle ajouté.

Raif Badawi, dont la femme et les trois enfants sont établis à Sherbrooke, a été condamné par la justice saoudienne à recevoir 1000 coups de fouet, à raison de 50 par semaine, à cause de ses positions favorables aux réformes et à l'ouverture des musulmans aux non-musulmans. Il est emprisonné depuis 2012, et il a passé un an derrière les barreaux avant son procès. 

À l'inverse, sa collègue Souad al-Shammari, arrêtée le 28 octobre pour s'être moquée du régime en place, attendait toujours son passage devant les tribunaux quand elle a été libérée. «C'est une grosse différence», a tenu à souligner Béatrice Vaugrante. «Elle n'avait pas subi de procès.»

De plus, les conditions que le régime saoudien aurait imposée à la blogueuse et militante pour les droits des femmes inquiètent Amnistie internationale. 

«Marchandage»

En entrevue à l'Agence France-Presse, la fille de Souad al-Shammari a déclaré que sa mère avait été exonérée après avoir pris un engagement par écrit de «réduire ses activités». Or, Amnistie internationale a une position forte sur le «marchandage» des pardons. Elle les a qualifiés de «scandaleux» dans un communiqué publié vendredi, journée où elle a révélé que les autorités saoudiennes auraient pris contact avec des prisonniers pour connaître leur opinion sur d'éventuelles ententes garantissant leur libération.

«Ça montre que le système répressif est toujours en place», a commenté Béatrice Vaugrante. «Ces personnes-là n'auraient jamais dû être emprisonnées au départ. Elles se sont exprimées librement, sans violence.»

Forte mobilisation

La confirmation de la peine de Raif Badawi par la cour d'appel de Riyad, en septembre, a entraîné une vague de sympathie envers le père de famille. Tous les vendredis depuis le mois de novembre, des citoyens se rassemblent devant l'hôtel de ville de Sherbrooke pour réclamer sa libération.

Ironiquement, l'attentat commis contre les artisans de Charlie Hebdo, le 7 janvier, a servi la cause de Raif Badawi, qui a reçu ses premiers coups de fouet deux jours après les événements. Reprenant le slogan qui condamne l'attaque visant le journal satirique, nombre de militants, partis politiques et syndicats ont clamé «Je suis Raif» et exhorté le Canada à faire pression sur l'Arabie saoudite afin qu'elle cesse d'infliger des coups de fouet au blogueur. Depuis, deux séances de flagellation ont été annulées à la dernière minute, sans que ne soient évoquées de raisons précises.

«Vendredi prochain, il pourrait très bien recevoir les coups de fouet à nouveau», a cependant rappelé Béatrice Vaugrante, terre à terre.

Malgré tout, devant la santé chancelante de Raif Badawi, Amnistie internationale continue de s'accrocher à l'espoir que la pression publique et les jeux de coulisse politiques permettent au détenu d'être libéré.

L'organisation continue aussi d'espérer une action de la part du gouvernement Harper, qui s'est jusqu'ici dit limité dans ses moyens, car Raif Badawi n'est pas citoyen canadien.