L'armée israélienne a décidé cette semaine d'exclure 43 réservistes de la prestigieuse unité 8200. Ils avaient critiqué publiquement les pratiques de ce service de renseignement réputé qui espionne quotidiennement des milliers de Palestiniens. Deux de ces soldats ont accordé une rare entrevue à notre collaborateur.

Avec leurs t-shirts délavés et leurs cheveux en bataille, ils semblent à peine sortis de l'adolescence. G. et R. (leur anonymat doit être préservé) sont pourtant vétérans d'une des unités les plus prestigieuses de l'armée israélienne: l'unité 8200. Un immense service de renseignement et de cyberguerre - aussi mystérieux que puissant - dont ils viennent d'être limogés, pour l'avoir critiqué.

Ils nous reçoivent dans un petit appartement du centre de Tel-Aviv. Presque trentenaires, G. et R. se souviennent d'avoir toujours rêvé d'intégrer la 8200. On n'y entre pas aisément. Il faut afficher d'excellents résultats scolaires - notamment en mathématiques - et un irréprochable patriotisme.

«J'ai été élevé dans l'amour du sionisme et dans l'idée qu'une carrière militaire était la voie royale. Mais au fil des années, j'ai nourri des doutes. Je me suis demandé si ce que nous faisions avec tant d'application était bien moral», raconte G., qui a finalement délaissé l'informatique pour des études de philosophie.

La routine de l'unité 8200, c'est notamment l'espionnage consciencieux de 3 millions de Palestiniens. Les renseignements récoltés sont transmis aux unités opérationnelles de Tsahal. Ils peuvent servir à démanteler une cellule terroriste à Naplouse ou situer la planque d'un chef du Hamas à Gaza.

«Nous écoutions des terroristes, bien sûr. Mais aussi des citoyens ordinaires qui n'avaient rien à voir avec la lutte armée. Nous pouvions tout savoir sur eux: leurs histoires d'argent, leurs préférences sexuelles, leur état de santé...», poursuit G.

«Nous ne sommes pas naïfs, assure R., dans un sourire. Nous savons que le renseignement est essentiel pour toutes les armées du monde. Ce qui nous pose problème, c'est l'absence totale de garde-fous. N'importe quel soldat de 18 ans peut, avec très peu de formalités, accéder à des données confidentielles et s'introduire dans la vie des gens. Un jour, j'ai vu le film La vie des autres qui parle de la Stasi en Allemagne de l'Est. J'ai été frappé par les ressemblances avec notre action. Je ne pouvais plus participer à cela sans rien dire.»

Critique de l'occupation

Travaillés par leur conscience, G. et R. ont signé avec une quarantaine d'autres réservistes de l'unité 8200 une lettre ouverte à leur hiérarchie publiée dans la presse israélienne en septembre dernier. «Nous refusons de prendre part aux actions contre les Palestiniens et de continuer d'être l'instrument renforçant le pouvoir militaire dans les territoires occupés», écrivaient-ils.

«Les Palestiniens ne sont pas comme les Libanais ou les Syriens. Ce sont des citoyens sous occupation qui n'ont pas un État pour les défendre. Ils doivent bénéficier du même droit à la vie privée que les citoyens israéliens. Ou alors il faut cesser de les occuper», estime G.

La démarche des frondeurs a suscité une large réprobation en Israël, où les soldats de la 8200 sont des demi-dieux, courtisés à la fin de leur service militaire par les meilleures entreprises du pays.

«Même dans ma famille, on m'a fait comprendre que j'avais franchi une ligne rouge», reconnaît G. Scandalisés par les accusations de leurs collègues, 200 soldats de l'unité ont riposté par une lettre ouverte soutenant leur hiérarchie et rappelant les règles éthiques de l'unité 8200. Quant au ministre de la Défense, Moshé Yaalon, il a loué la «mission sacrée» des hommes de la 8200 et affirmé que les frondeurs ne pouvaient qu'être manipulés par les «ennemis d'Israël». Cette semaine, il a décidé de les exclure de l'unité.

«Notre démarche n'a pourtant rien d'une trahison, soupire R. Et l'émotion qu'elle a provoquée dans le pays prouve bien que nous avons touché un point sensible. On ne peut pas continuer indéfiniment à occuper un peuple. Les Palestiniens vivent dans une zone grise où les droits civiques dépendent du bon vouloir des autorités militaires. Ce n'est pas l'idée que je me fais de la démocratie.»