Quarante-huit heures après la condamnation par Riyad de l'attaque contre Charlie Hebdo, champion de la liberté d'expression, un blogueur saoudien a reçu vendredi 50 coups de fouet pour «insulte envers l'islam» dans ce royaume qui n'accepte aucun écart.

Raif Badaoui, 30 ans, a été fouetté devant une foule de fidèles après la prière hebdomadaire devant la mosquée al-Jafali de Jeddah (ouest de l'Arabie saoudite), selon des témoins.

Emprisonné le 17 juin 2012, Raif Badaoui avait été condamné en mai 2014 à dix ans de prison, une amende d'un million de riyals (267 000 dollars) et 1000 coups de fouet répartis sur 20 semaines. La première séance de flagellation, qui a duré une quinzaine de minutes, a donc eu lieu vendredi.

Raif Badaoui, qui portait des chaînes aux mains et aux pieds, a été conduit dans un véhicule de police près de la mosquée al-Jafali. Un fonctionnaire des forces de l'ordre a lu devant la foule la sentence du tribunal.

Le blogueur a ensuite été placé debout, dos à la foule, et un autre homme s'est mis à le fouetter, en retenant visiblement ses coups, ont indiqué des témoins.

La foule a assisté en silence à la scène. Les forces de l'ordre ont signifié aux fidèles présents qu'ils était formellement interdit de prendre des photos.

«vendredi de la honte»

M. Badaoui est l'animateur du site internet Liberal Saudi Network, qui comprend un forum de débats, et lauréat 2014 du prix Reporters sans frontières (RSF).

Les autorités ont fermé ce site internet. Une femme qui militait pour les droits de l'Homme aux côtés de M. Badaoui, Souad Chammari, avait indiqué lors de sa condamnation que son site avait «critiqué la police religieuse et certains agissements et fatwas (édits religieux)» qui selon elle «portent atteinte à l'essence de l'islam».

Dès jeudi, RSF écrivait que «ce 9 janvier 2015 pourrait être le vendredi de la honte en Arabie saoudite».

Reporters sans frontières n'a cessé de dénoncer le «châtiment barbare» contre le «net-citoyen» Raif Badaoui, dont l'épouse Ensaf Haidar est réfugiée au Canada.

«Alors que l'Arabie saoudite a dénoncé l'attentat lâche» perpétré mercredi contre le journal satirique Charlie Hebdo (12 morts), RSF, par la voix de sa directrice des programmes Lucie Morillon, s'est étonné que ce même pays punisse «un citoyen qui ne faisait qu'exercer sa liberté d'expression et d'information, celle-là même qui a coûté la vie aux journalistes français».

Quelques heures après la tuerie à Charlie Hebdo, le gouvernement saoudien avait condamné «cette attaque terroriste lâche qui est incompatible avec l'islam».

L'Arabie saoudite, berceau du wahhabisme (version rigoriste de l'islam), est un royaume ultraconservateur où le mélange des sexes est interdit en dehors du cadre familial et où les femmes n'ont pas le droit de conduire. Toute critique de la dynastie des Al-Saoud, des institutions religieuses et de l'islam est passible de poursuites et de condamnations.

Dans un communiqué jeudi, le département d'État américain s'était insurgé contre la «punition inhumaine» visant Raif Badaoui.

«Le gouvernement des États-Unis appelle les autorités saoudiennes à annuler cette punition brutale et à réexaminer le dossier de Badaoui et sa condamnation», avait insisté la porte-parole de la diplomatie américaine Jennifer Psaki.

Les États-Unis et l'Arabie saoudite sont de très proches alliés et Riad fait partie de la coalition militaire internationale qui mène des frappes aériennes contre des groupes jihadistes en Syrie et en Irak. Washington exprime parfois des critiques sur la situation des droits de l'homme en Arabie saoudite.

Quelques heures après la séance de flagellation, Amnistie internationale a vivement réagi en dénonçant cet acte «vicieux et cruel qui est interdit par la loi internationale».

«En ignorant les appels internationaux visant à annuler la flagellation, les autorités d'Arabie saoudite ont montré une indifférence odieuse vis-à-vis des principes de base des droits de l'Homme», a ajouté Said Boumedouha, directeur adjoint d'Amnistie pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

L'organisation a qualifié Raif Badaoui de «prisonnier de conscience».