La famille de Luke Somers, l'otage américain tué par ses ravisseurs samedi au Yémen lors d'une opération américaine de sauvetage ratée, a dénoncé lundi avoir été mise devant le fait accompli dans des déclarations aux médias britanniques.

«Nous n'avons pas du tout été mis au courant (...). Cela a été un choc complet», a déclaré Penny Bearman, la belle-mère de Luke Somers, lors d'un entretien avec la radio BBC 4.

«Je crois que la famille aurait aimé voir plus de tentatives pour résoudre le problème (diplomatiquement) avant qu'il ne se transforme en crise», a-t-elle continué.

Le père de M. Somers est «en colère parce que s'il n'y avait pas eu de tentative de sauvetage, il serait toujours vivant», a-t-elle confié au quotidien The Times.

«Mais en même temps (...) s'ils avaient été capables de le sortir de là, nous chanterions leurs louanges», a-t-elle admis sur BBC 4.

«Nous sommes sûrs que Luke aurait soutenu les discussions en cours (pour assurer sa libération) au Yémen plutôt que l'emploi de la force», a-t-elle assuré au Times.

Au cours de cette opération, Luke Somers, un photojournaliste de 33 ans kidnappé en septembre 2013 à Sanaa, et Pierre Korkie, un enseignant sud-africain retenu depuis mai 2013, «ont été assassinés par les terroristes de l'AQPA» (Al-Qaïda dans la péninsule arabique), selon le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel.

Selon l'association caritative sud-africaine musulmane Gift of the Givers, qui négociait depuis un an la libération de Pierre Korkie, l'enseignant s'apprêtait à recouvrer la liberté, peut-être dès dimanche.

Le président américain Barack Obama a affirmé avoir lui-même «autorisé cette opération de sauvetage (...) en coopération avec le gouvernement yéménite» après des «informations indiquant que la vie de Luke était en danger immédiat».

Les autorités yéménites soutiennent, comme Washington, que les ravisseurs «ont tiré sur les deux otages pour les liquider» après avoir «refusé de se rendre», selon la haute commission de sécurité à Sanaa.

La dépouille de Korkie attendue en Afrique du Sud

La dépouille de Pierre Korkie devait être rapatriée discrètement lundi en Afrique du Sud, ses proches ayant demandé de préserver l'intimité familiale.

Le corps «sera soumis à une autopsie, puis remis à la famille», indiqué à l'AFP le porte-parole du ministère sud-africain des Affaires étrangères Nelson Kgwete, précisant que les Korkie avaient demandé le plus de discrétion possible.

Son épouse Yolande est arrivée à Johannesburg lundi, selon le porte-parole de la famille Daan Nortier.

Elle a annoncé une conférence de presse mardi matin. «Aucune question ne sera prise qui pourrait l'attirer sur le terrain de la controverse», a précisé M. Nortier, soulignant que la famille a été «traumatisée par ce qui lui est arrivé».

Pierre Korkie, 56 ans, enseignait depuis quatre ans au Yémen quand il a été enlevé avec son épouse à Taëz (sud-ouest) par des membres d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), le 27 mai 2013. Ses ravisseurs réclamaient une rançon de 3 millions de dollars que le gouvernement sud-africain se refusait de verser par principe, et que ses proches n'avaient pu réunir.

L'enseignant afrikaner a été tué par les militants d'AQPA, selon Washington et les autorités yéménites, de même que l'otage américain Luke Somers, lors d'une opération des forces spéciales américaines pour les libérer samedi matin.

Sa mort a d'autant plus choqué en Afrique du Sud que l'association caritative musulmane Gift of the Givers, qui négociait depuis un an la libération de l'enseignant, a affirmé qu'il aurait dû recouvrer la liberté incessamment, peut-être dès dimanche. Selon l'ONG sud-africaine, 200 000 $ récoltés auprès de proches devaient être versés aux bédouins ayant servi d'intermédiaire.

«Le gouvernement américain n'était absolument pas au courant de négociations entre Gift of the Givers et ces preneurs d'otage brutaux d'Al-Qaïda», a assuré lundi sur la radio 702 l'ambassadeur américain en Afrique du Sud, Patrick Gaspard.

«Nous avons choisi d'aimer»

La famille de Pierre Korkie, à la foi chrétienne militante, s'est refusée à polémiquer sur les circonstances de sa mort après un an et demi de captivité.

«Aujourd'hui, nous avons choisi de pardonner. Nous avons choisi d'aimer. Nous avons choisi de nous réjouir des souvenirs de Pierre et de le faire vivre dans nos coeurs», a écrit dans un communiqué sa veuve Yolande, qui avait été libérée en janvier.

«Bien que nous ayons été séparés physiquement après 228 jours quand j'ai été libérée, je suis restée avec lui en esprit jusqu'à la fin. Le 6 décembre 2014, mon meilleur ami, mon compagnon, ce papa croyant en Dieu nous a été arraché, à moi et à mes (deux) enfants», a déclaré Mme Korkie, 44 ans.

Une cérémonie doit être organisée avant la fin de la semaine à Bloemfontein, la ville du centre du pays d'où les Korkie sont originaires, avant des obsèques dans l'intimité, a-t-elle précisé.

«Pierre va nous revenir comme il l'avait vu dans une vision, nous allons passer du temps avec lui pour lui dire au revoir et arriver à une sorte de conclusion», a relevé Yolande Korkie.

Pierre Korkie était un professeur de sport et de biologie très respecté d'une école secondaire réputée à Bloemfontein. Fragile, il était handicapé par une surdité avancée.

Parmi ses élèves, la plus connue est Zola Budd, la coureuse aux pieds nus qui a battu le record du monde du 5000 mètres en 1984 alors qu'elle était encore au secondaire. Elle lui avait dédié l'ultra-marathon du Comrades en mai dernier.

Se disant «profondément triste», le gouvernement sud-africain a rappelé qu'il «avait pris de nombreuses initiatives» pour tenter de faire libérer M. Korkie.

-Avec Jean Liou

PHOTO ARCHIVES AP

Pierre Korkie, un enseignant sud-africain retenu depuis mai 2013 au Yémen, a été tué par des terroristes de l'AQPA.

Sept civils tués

Un chef de tribu yéménite a affirmé lundi que sept civils avaient été tués dans l'opération américaine de sauvetage ratée ayant coûté la vie à deux otages américain et sud-africain, et a réclamé des réparations au gouvernement du Yémen.

«Nous appelons le gouvernement à Sanaa à examiner l'affaire des sept civils tués et celle d'une femme et d'un enfant blessés lors de l'opération de sauvetage, afin de les dédommager», a déclaré à l'AFP cheikh Tarek Férid al-Daghari, dont le clan appartient à la tribu des Al-Awlaki, influente dans la province de Chabwa (sud-est).

Les autorités yéménites n'ont pas fait état de victimes civiles après l'opération durant laquelle Luke Somers et Pierre Korkie ont perdu la vie.

Le chef de tribu a affirmé «avoir des preuves de la participation de soldats yéménites à l'opération» de samedi dans un village reculé de Chabwa.

Faisant le récit des évènements, il a indiqué que les forces spéciales américaines avaient pris pour cible «un bloc de trois maisons appartenant à trois frères, dont un membre d'Al-Qaïda» ainsi que «celle de leur père, Abdallah al-Awaj al-Daghari, âgé de 70 ans, située 150 mètres plus loin».

Avant l'assaut, le membre d'Al-Qaïda, accompagné de cinq autres membres du réseau, «dont trois Saoudiens, est arrivé avec les deux otages pour faire une halte avant de poursuivre leur chemin», a-t-il raconté. «Mais peu après, l'assaut a été donné» et «les trois frères et leur père ont été tués».

Au total, «deux membres d'Al-Qaïda et sept civils ont été tués alors qu'une femme, un enfant et deux Saoudiens étaient blessés», a-t-il indiqué, en précisant que les autres membres d'Al-Qaïda avaient réussi à prendre la fuite.

Selon lui, cinq membres de la famille de l'insurgé d'Al-Qaïda figuraient parmi les morts.

Le gouvernement yéménite a affirmé que dix combattants présumés d'Al-Qaïda avaient été tués et quatre membres des forces antiterroristes yéménites blessés lors de l'opération.