L'opération lancée en Cisjordanie à la suite de l'enlèvement de trois jeunes Israéliens déracine non seulement les infrastructures du Hamas, mais mine aussi la crédibilité de l'Autorité palestinienne, perçue par la population comme impuissante, voire complice d'Israël, selon des analystes.

Près de 270 membres du mouvement islamiste, auquel Israël impute le rapt, ont été arrêtés au cours de cette opération, la plus importante en Cisjordanie occupée depuis la fin de la deuxième Intifada en 2005, essentiellement en zone autonome sous contrôle de l'Autorité palestinienne.

Le président palestinien Mahmoud Abbas a condamné l'enlèvement, qui n'a pas fait l'objet de revendication jugée sérieuse, accusant le 18 juin sans les désigner les ravisseurs de vouloir «détruire les Palestiniens». Il s'est engagé à la coopération de ses services de sécurité pour retrouver les trois jeunes.

Cette position, critiquée par le Hamas comme «contraire à la réconciliation nationale», rencontre une incompréhension croissante de l'opinion, à mesure que le bilan s'alourdit - quatre Palestiniens tués, dont un mineur et un handicapé mental, un blessé en état de mort clinique et une crise cardiaque.

Des jeunes protestataires ont caillassé dimanche un poste de la police palestinienne à Ramallah et endommagé des véhicules. Et lundi, des dizaines de Palestiniens ont manifesté dans la ville «contre la coopération de sécurité» avec Israël et pour une «nouvelle Intifada».

Cette rancoeur s'exprime sur les réseaux sociaux, foisonnant de caricatures insultantes pour Mahmoud Abbas, représenté en général ou en soldat israélien et accusé de «collaboration» voire de «trahison», y compris par des groupes issus de son mouvement, le Fatah.

«Il y a une forte probabilité de réaction de la population contre les symboles de l'Autorité palestinienne et ses institutions, parce que l'Autorité est incapable de la protéger, ce qui est sa mission fondamentale», estime Samir Awad, professeur de sciences politiques à l'Université de Bir Zeït, près de Ramallah.

«Israël exploite cet état de fait pour délégitimer l'Autorité palestinienne en retournant le peuple contre elle», ajoute-t-il.

Selon Naji Charab, professeur de sciences politiques à l'Université Al-Azhar de Gaza, «ce qui se passe en Cisjordanie est une opération à double détente».

D'une part, «elle vise à démanteler complètement l'infrastructure du Hamas pour en expurger la notion de résistance», explique-t-il, de l'autre elle adresse «un message fort à l'Autorité, que ce qui est attendu d'elle, est une fonction de sécurité, pas de souveraineté».

«Humilier l'Autorité palestinienne»

Conscient des enjeux, Mahmoud Abbas a déclaré samedi devant des journalistes arabes que «ce que fait Israël avec ses arrestations et ses fouilles revient à priver d'autorité l'Autorité palestinienne».

Moussa Abou Marzouk, le responsable au sein du Hamas de la réconciliation avec le Fatah, a affirmé que l'offensive israélienne visait à affaiblir le mouvement islamiste, mais aussi «l'Autorité palestinienne, en sapant la confiance en elle pour l'humilier encore plus».

Elle a également pour but de «mettre fin au gouvernement de consensus national et ainsi à la réconciliation palestinienne», a écrit M. Abou Marzouk, numéro 2 du Hamas, sur sa page Facebook, en référence à l'exécutif de personnalités indépendantes formé le 2 juin en vertu d'un accord de réconciliation nationale.

«S'il s'avère que le Hamas est responsable de l'enlèvement, cela pourrait porter le coup de grâce à la réconciliation», prévient l'ancien ministre de la Culture Ibrahim Abrach, professeur à l'Université Al-Azhar de Gaza.

Le chef du Hamas, Khaled Mechaal, a assuré que la direction politique du mouvement n'avait aucune information sur le rapt, mais a dit «soutenir tout acte de résistance contre l'occupation israélienne, qui doit payer pour sa tyrannie».

«Si le Hamas prend officiellement la responsabilité de l'enlèvement, la situation sera très difficile et Abou Mazen (Mahmoud Abbas, NDLR) pourrait annoncer qu'il renonce à la réconciliation parce qu'il se retrouvera sous énormes pressions israélienne et américaine», opine Walid al-Moudallal professeur de sciences politiques à l'Université islamique de Gaza.

Étranglé par le blocus israélien de la bande de Gaza et la fermeture de la frontière avec l'Égypte, le Hamas a accepté la réconciliation aux conditions de Mahmoud Abbas afin d'assurer sa survie à terme, au prix d'un abandon du pouvoir sur l'enclave palestinienne, d'après les commentateurs.

Selon Walid al-Moudallal, «le Hamas pourra recommencer à résister avec force, maintenant qu'il s'est délesté sur l'Autorité du fardeau du gouvernement, tout comme de la responsabilité de ses 50 000 fonctionnaires».