La poussée fulgurante des djihadistes de l'État islamique en Irak et au Levant, qui menaçaient hier de s'en prendre à la capitale irakienne après avoir conquis plusieurs villes en quelques jours, met en relief l'importance des tensions sectaires au sein du pays et les divisions qui en découlent.

Les djihadistes qui se sont emparés depuis mardi de vastes pans du territoire irakien tirent profit du sentiment d'aliénation qu'éprouve la minorité sunnite du pays envers le gouvernement central.

La prise rapide et relativement aisée de plusieurs villes dans une zone à majorité sunnite du nord-ouest du pays indique que plusieurs chefs de tribus ont décidé de «changer de camp» et de se rallier aux combattants de l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), estime Henri Barkey.

Le spécialiste en relations internationales de l'Université Lehigh, en Pennsylvanie, pense que le scénario aurait pu être bien différent si le premier ministre Nouri al-Maliki, un chiite, s'était efforcé au cours des dernières années de «constituer une base politique plus efficace» transcendant les lignes confessionnelles.

«La situation est entièrement de sa faute. Il a mené une politique prochiite, très antisunnite. Il semble avoir fait de son mieux pour aliéner les tribus et la population sunnite en général», souligne M. Barkey.

Dans une lettre ouverte parue l'année dernière, l'analyste prévenait avec prescience que les pratiques musclées du politicien - qui s'en est pris notamment à plusieurs élus sunnites respectés - finiraient par mettre le feu aux poudres et précipiter la division du pays selon des lignes «sectaires et ethniques».

Selon M. Barkey, le manque d'identification des sunnites avec le gouvernement central explique pourquoi plusieurs milliers de soldats de l'armée irakienne ont pris la fuite en début de semaine à Mossoul devant l'EIIL, malgré leur avantage numérique conséquent.



Opposition plus vive en vue

La tâche des djihadistes, qui menaçaient hier de s'en prendre à la capitale du pays après avoir poursuivi leur descente vers le sud, deviendra de plus en plus difficile en approchant des zones à majorité chiite, dit-il.

«Les forces autour de Bagdad ne sont pas celles de Mossoul. Il s'agit de soldats chiites qui haïssent les sunnites. Ils vont se battre», souligne le professeur.

Alain Rodier, un analyste du Centre français de recherche sur le renseignement, basé à Paris, ne pense pas que la ville puisse tomber aux mains des djihadistes, même si ceux-ci multiplient les menaces et que la population locale panique.

«Il faut savoir raison garder face à cette offensive», souligne M. Rodier, qui s'attend à ce que les djihadistes de l'EIIL occupent le territoire délaissé par le recul des forces irakiennes en territoire sunnite tout en évitant de livrer véritablement bataille lorsqu'ils rencontreront une «opposition un peu structurée».

Le premier ministre irakien, loin de se résigner officiellement à la situation, a promis au cours des derniers jours que les troupes gouvernementales renverseraient l'avancée de l'EIIL et reprendraient ultimement Mossoul.

Washington réticent

Un tel dénouement apparaît cependant improbable sans une intervention musclée des États-Unis, qui se montrent peu disposés à procéder en ce sens. Le New York Times rapportait hier que l'administration de Barack Obama a refusé au cours des derniers mois de bombarder des places fortes djihadistes dans l'ouest de l'Irak, comme le lui demandait avec insistance Bagdad.

Le président américain a déclaré hier qu'il étudiait «toutes les options» pour soutenir le régime irakien face aux combattants de l'EIIL tout en excluant l'envoi de troupes américaines.

«L'enjeu ici est de s'assurer que ces djihadistes ne s'installent pas de façon permanente en Irak ou en Syrie d'ailleurs», a-t-il souligné, faisant allusion à la présence de l'EIIL dans les deux pays.

Le chef d'État a été critiqué hier aux États-Unis par le camp républicain. L'ancien candidat présidentiel John McCain, qui réclame des frappes aériennes, a reproché à l'administration d'avoir retiré les troupes américaines du pays, il y a quelques années, sans avoir «terminé» la guerre.

Des critiques ont aussi résonné aux Nations unies, où les membres du Conseil de sécurité se réunissaient pour discuter du dossier irakien.

«La situation est dramatique et a, de façon évidente, tiré ses racines de ce qui s'est passé en Irak en 2003-2004», a déclaré l'ambassadeur russe Vitali Tchourkine en évoquant l'invasion américaine lancée pour renverser l'ancien dictateur Saddam Hussein.

M. Tchourkine, qui préside le Conseil de sécurité, a indiqué à l'issue de la rencontre de deux heures qu'aucune mesure ciblant les combattants de l'EIIL n'avait été décidée.

«La chose la plus importante dans l'immédiat, c'est de parvenir à une sorte de modus vivendi entre les principales forces politiques afin qu'elles puissent efficacement lutter ensemble contre les terroristes», a-t-il relevé, selon l'Agence France-Presse.

PHOTO SAFIN HAMED, ARCHIVES AFP

L'avancée fulgurante des forces djihadistes a forcé à l'exil des milliers d'Irakiens dans le nord du pays.

PHOTO SAFIN HAMED, ARCHIVES AFP

Des Irakiens quittent la province de Ninive.