Il est haut comme trois pommes, mais Salahdeen, un petit Afghan de sept ans, élève dans la seule école de rock de Kaboul, chante We will rock you avec une conviction et une intensité qu'aurait certainement approuvées Freddie Mercury.

Et si, finalement, c'était ça le nouveau visage de l'Afghanistan, un petit garçon qui s'égosille sur un titre de Queen? Une scène complètement inimaginable il y a encore quelques années, à l'époque des fondamentalistes talibans (1996-2001), qui avaient banni, comme tant d'autres divertissements, la musique.

L'école est née il y a environ deux ans, dans le «salon» d'une maison à Kaboul. «Des musiciens s'y réunissaient, régulièrement. Et aussi des jeunes, qui nous demandaient comment jouer un morceau, comment utiliser les instruments», raconte Humayun Zadran, l'un des membres fondateurs.

«Ça nous a donné l'idée d'ouvrir une école de rock à Kaboul. On a commencé doucement, avec quelques guitares, la moitié d'un kit de batterie. Maintenant, nous avons plus de 35 élèves».

Installée dans un quartier résidentiel de Kaboul, l'école respire les arts et la musique. Dans le jardin, des murs ont été décorés avec des graffitis d'artistes locaux, ici une grande guitare électrique, là une femme semblant se débattre avec un voile.

L'intérieur du bâtiment mélange les cultures : des peintures de scènes de la vie quotidienne afghane côtoient un immense portrait en noir et blanc de Jack et Meg White du duo américain The White Stripes.

«Certains préfèrent voir les musiciens morts»

Assis sur une banquette, Omar Paiman, 18 ans, gratte quelques accords sur une guitare électro-acoustique. Sol/ré/la-mineur, sol/ré/do : c'est Knockin' on Heaven's Door, un des titres les plus célèbres de Bob Dylan, un hymne de la folk quasi incontournable pour tous les guitaristes débutants.

«C'est le seul endroit en Afghanistan où on peut apprendre à jouer du rock», dit ce fan du groupe Linkin Park.

Omar, barbe naissante et cheveux en pointe sauvagement dressés sur la tête, a commencé à prendre des leçons il y a sept mois, mais il lui a fallu convaincre sa famille. Même si les rebelles talibans ne sont plus aux commandes en Afghanistan, le pays reste conservateur.

«Ils savaient que je m'intéressais à la musique, mais ils m'ont toujours dit de ne pas jouer, à cause des problèmes de sécurité», dit-il.

«C'est très difficile pour les musiciens, en particulier pour les femmes», confirme Meena Yousufzai, une jeune femme de 22 ans, qui suit des cours de violon. «Elles peuvent aller à l'école pour apprendre à lire et à écrire, mais faire de la musique reste souvent un rêve inaccessible».

«Certains dans ce pays préfèrent voir les musiciens morts», lâche Omar. À l'école du rock de Kaboul, on cultive plutôt l'adage selon lequel «la musique adoucit les moeurs».

«Les élèves puisent dans la musique quelque chose qui leur permet d'envisager l'avenir autrement, de mettre de côté les violences quotidiennes», avance la directrice de l'établissement, Robin Ryczek, une violoncelliste américaine.

Futures rock stars?

Ce besoin d'oublier les attaques talibanes, de rêver d'un pays ouvert sur le monde, explique peut-être l'enthousiasme dont font preuve les élèves de l'école.

«Même si c'est difficile de faire la comparaison avec les élèves que j'ai eus aux États-Unis, qui étaient souvent très doués, je crois qu'il y a plus de passion ici», estime Robin.

À voir le petit Salahdeen interpréter We will rock you en s'accompagnant à la guitare comme s'il avait déjà toute une carrière derrière lui, on serait tenté de la croire. Serait-ce la future rock star afghane? Ou bien s'agirait-il d'Anouché, six ans, qui chante fièrement à ses côtés? Ou de Qais Sadat, 22 ans, à la basse, qui rêve de fonder un groupe de heavy métal?

Ce sang neuf viendra peut-être un jour innerver la jeune scène rock de Kaboul, qui mûrit petit à petit grâce à quelques groupes locaux, et à un festival, «Sound central».

Mais au-delà de la capitale afghane, c'est un pays tout entier qu'il faut initier aux hurlements des guitares, aux rythmes tonitruants des batteries, remarque Sulyman Qardash, chanteur du groupe afghan Kabul Dreams.

«Il faut leur expliquer. Le gamin qui vient voir un concert ne sait pas d'où vient la distorsion des guitares électriques», ajoute cet habitué de l'école de rock, devenue un cercle de rencontre des musiciens kaboulis.

Aujourd'hui, pour Sulyman, le rock creuse son sillon en Afghanistan, et le pays ne reviendra pas en arrière, malgré les violences persistantes, la pression des conservateurs et les craintes d'une guerre civile après le retrait des soldats de l'OTAN l'an prochain. «Nous sommes allés le chercher, nous l'avons. On ne nous le reprendra pas».