Les doses de polonium retrouvées dans la dépouille et les effets personnels de Yasser Arafat «supposent forcément l'intervention d'un tiers», ont déclaré jeudi les experts suisses qui ont mené les analyses.

Les experts ont mesuré des doses jusqu'à 20 fois supérieures à ce qu'ils ont l'habitude de mesurer. «Cela suppose forcément l'intervention d'un tiers», a déclaré le professeur François Bochud, directeur de l'Institut de radiophysique appliquée lors d'une conférence de presse.

«On n'absorbe pas par accident ou volontairement une source de polonium. C'est quand même un produit qui n'est pas présent dans l'environnement en concentration telle que cela permettrait de s'intoxiquer de façon accidentelle ou involontaire», a renchéri le professeur Patrice Mangin, directeur du Centre universitaire romand de médecine légale, lors d'une conférence de presse.

«À partir du moment, où l'on considère qu'il y a du polonium qui a pu être introduit de manière artificielle comme cela dans l'organisme, fatalement cela suppose l'intervention d'un tiers», a-t-il ajouté.

«Nos résultats soutiennent raisonnablement l'hypothèse de l'empoisonnement», ont avancé les experts. «Nos constatations sont cohérentes avec cette hypothèse, en tout cas plus cohérente que lorsqu'on teste l'hypothèse inverse» du non-empoisonnement, a renchéri le Pr Mangin, au terme d'une démonstration assez technique.

Mais les experts ne peuvent pas être catégoriques. «Est-ce que nous pouvons exclure le polonium comme cause de la mort? La réponse est clairement non», a souligné François Bochud, directeur de l'Institut de radiophysique appliquée.

«À l'opposé est-ce que nous pouvons dire avec certitude que le polonium a été la cause de la mort du président Arafat? La réponse est malheureusement non. Notre étude n'a pas permis de démontrer de manière catégorique, une hypothèse, l'empoisonnement, ou l'autre hypothèse, le non-empoisonnement par le polonium», a ajouté le professeur Bochud.

L'équipe suisse a d'abord analysé des échantillons provenant des effets personnels contenus dans un sac de voyage de Yasser Arafat, puis d'autres provenant de sa dépouille lors de l'exhumation de son corps à Ramallah en novembre 2012, à laquelle elle a participé.

Les experts ont insisté sur le fait qu'ils n'avaient pas pu obtenir des échantillons biologiques du leader palestinien recueillis lors de son hospitalisation à Paris où il est décédé le 11 novembre 2004, ce qui leur aurait permis «certainement d'être plus catégoriques». Mais ces prélèvements de sang, d'urines et de liquide céphalo-rachidien, qui auraient pu les éclairer, ont été détruits après quelques années.

Le temps écoulé entre la mort de Yasser Arafat le 11 novembre 2004 et le début de leurs investigations en 2012 a été un autre facteur compliquant les travaux, selon Patrice Mangin.

Leurs analyses ont d'abord mis en évidence «une quantité anormale de plomb et de polonium». Dans le sac, le sous-vêtement de Yasser Arafat était même l'élément «le plus radioactif», selon François Bochud.

Pour tenter d'en expliquer la provenance, les scientifiques ont pris l'hypothèse qu'une source de polonium avait été ingérée par Yasser Arafat et en ont modélisé le résultat en se procurant eux-mêmes une source liquide de cette substance radioactive hautement toxique.

«Pour avoir une activité correspondant à la dose estimée comme étant létale, il suffit de quelques microgrammes de polonium», a précisé le scientifique suisse.

«Le polonium a une période de 138 jours, tous les 138 jours son activité est divisée par un facteur 2. Cela signifie donc qu'après huit ans, il n'y a plus qu'un millionième de l'activité qui était présente huit ans auparavant», a expliqué François Bochud.

Le fait d'en retrouver de telles doses huit ans plus tard est un des arguments accréditant la thèse de l'empoisonnement au polonium, tout comme les symptômes cliniques présentés par Yasser Arafat avant sa mort qui ont mis les chercheurs sur la piste d'une intoxication.

Cependant, les scientifiques ne peuvent pas être catégoriques. «On ne peut pas dire que le polonium a été la source de la mort» d'Arafat, a souligné François Bochud. Mais «on ne peut pas l'exclure», a-t-il ajouté, rappelant que leurs analyses interviennent presque neuf ans après le décès du dirigeant palestinien.

Selon son collègue, le professeur Patrice Mangin, directeur du Centre universitaire romand de médecine légale, si les experts avaient pu obtenir des échantillons biologiques du leader palestinien après la mort d'Arafat le 11 novembre 2004 dans un hôpital de la région parisienne, ils auraient certainement pu être plus catégoriques, mais il n'en existe plus.

L'OLP réclame une enquête internationale

Un membre de la direction palestinienne, Wassel Abou Youssef, a appelé jeudi à la formation d'une «commission d'enquête internationale sur le meurtre du président Arafat», après la publication d'un rapport médical confortant la thèse d'un empoisonnement au polonium.

Le porte-parole du Fatah, mouvement du président palestinien Mahmoud Abbas, a par ailleurs annoncé une conférence de presse vendredi matin du président de la commission d'enquête palestinienne sur la mort du dirigeant historique palestinien.

«De la même manière qu'une commission d'enquête internationale a été formée sur le meurtre de (l'ex-premier ministre libanais) Rafic Hariri, il doit y avoir une commission internationale pour enquêter sur le meurtre du président Arafat», a déclaré à l'AFP M. Abou Youssef, membre du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).

«Les résultats ont montré qu'Arafat avait été empoisonné au polonium, une substance qui est détenue uniquement par des États et non des individus, ce qui signifie que le crime a été commis par un État».

De son côté, Ahmad Assaf, le porte-parole du Fatah, a indiqué à l'AFP qu'il y aurait «demain une conférence de presse de la commission d'enquête palestinienne, dont le président, Tawfiq Tiraoui, parlera du contenu du rapport, à la Mouqataa», siège de la présidence palestinienne à Ramallah, en Cisjordanie.

Auparavant, le «Comité central du Fatah se réunira pour discuter du rapport et décider de la marche à suivre», a déclaré à l'AFP le secrétaire général du Conseil révolutionnaire du Fatah, Amine Maqboul.

Les causes de la mort d'Arafat le 11 novembre 2004 dans un hôpital militaire français n'ont pas été élucidées, et nombre de Palestiniens soupçonnent Israël, qui a toujours nié, de l'avoir empoisonné.

«Les résultats soutiennent modérément l'hypothèse que la mort a été la conséquence d'un empoisonnement au polonium-210», concluent les 10 médecins et praticiens, pour la plupart de l'Institut de radio-physique de Lausanne.

«Nous avons mesuré des activités de polonium-210 dans les os et les tissus qui étaient jusqu'à 20 fois supérieures aux références de la littérature» médicale, selon le rapport daté du 5 novembre, diffusé mercredi par la chaîne qatarie Al-Jazeera.

«Le fait qu'elles ne soient pas homogènes est compatible avec une absorption de polonium-210 survenue lors de l'apparition des premiers symptômes (octobre 2004)», remarquent-ils, évoquant le cas d'Alexandre Litvinenko, un ancien membre des services secrets russes réfugié à Londres, assassiné en 2006 avec cette substance.

Une soixantaine de prélèvements ont été effectués le 27 novembre 2012 dans la tombe de Yasser Arafat à Ramallah, puis répartis pour analyse entre les trois équipes d'enquêteurs, suisse, française et russe.

Le président de la commission d'enquête palestinienne avait alors annoncé que si les prélèvements confirmaient la thèse de l'empoisonnement, les dirigeants palestiniens saisiraient la Cour pénale internationale (CPI).