Rues bouclées, hommes en civil fouillant minutieusement une longue file de voitures: les bastions du tout-puissant Hezbollah étaient déjà des «mini-États» au Liban, mais après deux attentats, le mouvement chiite les a transformés en une véritable forteresse de sécurité.

Aux entrées de la banlieue sud de Beyrouth, un des principaux fiefs du parti engagé dans la guerre en Syrie aux côtés du régime, des jeunes en civil demandent aux automobilistes d'ouvrir le coffre de leur voiture, créant des embouteillages monstres dans la zone.

D'autres, «talkie-walkie» à la main, l'uniforme frappé du badge «Union des municipalités de la banlieue sud», demandent leurs papiers aux nombreux motards qui zigzaguent dans cette ceinture chiite densément peuplée.

«L'heure est à la vigilance. Les gens sont plus tranquilles quand ils nous voient», explique un «vigile hezbollahi» à l'AFP, sous couvert d'anonymat.

Parrainé par l'Iran, allié au régime du président Bachar al-Assad et doté d'un puissant arsenal, le Hezbollah a été frappé au coeur lorsqu'un attentat à la voiture piégée en pleine banlieue sud de Beyrouth a fait 27 morts jeudi dernier, un mois après une première attaque qui a blessé 50 personnes.

Cet attentat, le plus sanglant au Liban depuis la fin de la guerre civile (1975-1990), a été revendiqué par un groupuscule inconnu dans une vidéo non authentifiée où il explique qu'il s'agit d'une riposte à l'engagement du Hezbollah en Syrie. Le chef du parti chiite, Hassan Nasrallah, a accusé des «extrémistes» musulmans.

Une fois passés les «check-points» improvisés sur les routes principales et des ponts, on voit des voitures stationnées sur des trottoirs bouclés et des ruelles bloquées par des barrières métalliques.

Dans un pays où le Hezbollah est accusé d'imposer sa volonté par les armes, ces mesures viennent renforcer encore plus la situation d'«enclave» de la banlieue, où l'armée et la police entrent rarement.

Le courant du Futur, de l'ex-premier ministre sunnite Saad Hariri, a critiqué dans un communiqué les mesures de sécurité prises par le Hezbollah, estimant qu'elles aidaient à créer des «ghettos» et à porter atteinte aux institutions de l'État.

«Où se produira le prochain?»

Près du site du deuxième attentat, dans le secteur de Roueiss, les gens, même s'ils ont peur, n'en laissent rien paraître devant les journalistes.

«Naturellement, tout a changé, c'était un quartier qui était sûr», affirme Moussa, propriétaire d'un magasin de lampes dans la rue touchée par l'attentat du 15 août.

Mais ce trentenaire, qui dit être sorti miraculeusement indemne de l'attaque, s'empresse très vite de dire: «Nous n'avons pas peur, même les Israéliens ne nous ont pas fait peur», en référence à la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël, qui avait pilonné la banlieue sud pendant 30 jours.

Même ton de défi sur les immeubles noircis par l'explosion: «Nous ne serons jamais humiliés», lit-on sur une pancarte.

Sur place, la «machine Hezbollah» s'est immédiatement mise en marche: des ouvriers de Jihad al Bina (combat pour la reconstruction) réparent les balcons dévastés. Après la guerre de 2006, cette institution du Hezbollah s'est chargée de la reconstruction, devançant le gouvernement libanais.

Les rivaux du Hezbollah au Liban ont estimé que le parti assumait à lui seul la responsabilité de l'attentat en raison de son engagement en Syrie.

Mais dans une région totalement acquise à sa cause, il est impossible de trouver une voix critique, malgré l'inquiétude qui pointe.

«On espère qu'il n'y aura pas de nouvel attentat, grâce à Dieu et à la résistance (Hezbollah)», dit Zeinab, une jeune mère de deux fillettes.

Mais d'autres, loin des vigiles du Hezbollah, confient que la hantise des attentats à la voiture piégée a bien commencé.

«Tout le monde se demande ici, où se produira le prochain? À Ouzaii, à Hay el-Sellom?» se demande Mohammad, en référence à deux secteurs de la banlieue.

«Beaucoup de chiites sont allés en pèlerinage en Irak et savent comment c'est là-bas: les attentats, les barrages», dit-il. «On se dit entre nous "vaut mieux éviter les souks populaires", mais tout le monde appréhende surtout la rentrée des classes.»

La crainte est également palpable dans d'autres fiefs du Hezbollah: à Baalbeck, grande ville de l'est du Liban, des hommes en civil, mais armés, inspectent les véhicules en soirée et ont placé des barrières métalliques aux entrées de la ville, a constaté un journaliste de l'AFP.

Selon des habitants, les personnes «à l'air syrien» sont les plus fouillées.

Car avec la participation du Hezbollah à la guerre, le Liban subit de plein fouet les contrecoups du conflit.

«La guerre de Syrie s'est glissée ici», indique un des jeunes responsables de la sécurité dans la banlieue. «Et ce n'est que le début.»