La justice saoudienne entendra cette semaine les deux militantes condamnées pour avoir aidé Nathalie Morin, qui demanderont une révision de leur peine. Johanne Durocher, la mère de Mme Morin, se sent responsable de leur sort et espère que la justice reviendra sur sa décision.

Depuis un mois, Mme Durocher multiplie les échanges avec les avocats des deux activistes et avec les journalistes saoudiens, dans l'espoir que le verdict soit renversé. Mais elle se sent bien impuissante.

Johanne Durocher a frappé à toutes les portes pour tenter de ramener Nathalie Morin et ses trois enfants d'Arabie saoudite. Mme Morin y vit depuis 2005 avec son conjoint. Elle tente depuis d'être rapatriée, mais les autorités saoudiennes n'ont, à ce jour, toujours pas fourni les autorisations pour que les enfants puissent quitter le pays. Pourtant, ils possèdent tous un passeport canadien, selon la mère.

À la demande de Mme Durocher, la militante saoudienne Wajeha al-Huwaider a accepté de les aider. Cette écrivaine se bat depuis plusieurs années pour le droit des femmes en Arabie saoudite. Elle dénonce notamment l'interdit qui empêche les Saoudiennes de conduire.

Wajeha et sa collègue Fawzia al-Ayouni ont donc transmis de l'argent ainsi qu'un téléphone cellulaire à Nathalie. La deuxième fois, en 2011, les deux femmes ont tenté de lui apporter de la nourriture. C'est à ce moment qu'elles ont été arrêtées. «Elles ne m'apportaient que de l'aide humanitaire», a expliqué à Nathalie Morin, jointe sur son cellulaire en Arabie saoudite.

«Ce sont les seules qui ont eu plus de coeur que de crainte pour aider ma fille dans un moment crucial. Ce téléphone m'a permis de savoir ce qui arrivait à ma fille... C'est tellement injuste !», s'insurge Mme Durocher.

Coupables selon la charia

Le 15 juin dernier, Fawzia et Wajeha ont été reconnues coupables de Takhbib, c'est-à-dire d'avoir incité une femme à défier l'autorité de son mari, selon les lois de la charia. Il y a un mois, elles ont été condamnées à dix mois de prison, et leur passeport est confisqué pour deux ans. Elles ont jusqu'au 15 juillet pour faire appel.

«Peut-être que les Saoudiens cherchaient une excuse pour faire taire [les deux militantes], et le cas de Nathalie a été une belle occasion», croit Johanne Durocher. Plusieurs militants sont d'ailleurs emprisonnés en Arabie saoudite, explique le groupe canadien Muslim for Progressive Values.

En juin dernier, Human Rights Watch réagissait à la condamnation en affirmant que les autorités saoudiennes utilisaient les tribunaux pour démontrer qu'aucune tentative pour améliorer le sort des femmes ne serait tolérée.

N'empêche, un sentiment de culpabilité ronge Mme Durocher. «Je me sentais tellement responsable... J'ai fait tout ce que j'ai pu pour les aider, mais je négocie pour ma fille en même temps, je suis à la veille de faire une crise de nerfs», a-t-elle lâché, la voix étranglée.

Cette épreuve survient dans un moment particulièrement difficile pour Mme Durocher et sa fille. Lundi, Nathalie et ses trois enfants auraient été expulsés de l'ambassade du Canada à Riyad, où elle s'était réfugiée pour demander de l'aide.

Silence à Ottawa

Depuis trois jours, La Presse tente d'obtenir la version des faits de l'ambassade et des Affaires étrangères à propos de l'épisode de lundi, en vain. Le bureau des Affaires étrangères refuse de commenter le cas de Nathalie, se bornant à répondre qu'il est complexe et que la Loi sur la protection des renseignements personnels l'empêche de révéler plus de détails.

Si la peine des deux femmes est annulée, ce sera un poids de moins pour les deux Québécoises.

CHRONOLOGIE

2001

À 17 ans, Nathalie rencontre Saeed Al Bishi, à Montréal. En 2002, ils ont un premier enfant, mais Saeed est renvoyé en Arabie saoudite.

2003-2004

Nathalie lui rend visite à deux occasions et s'y établit en mars 2005. En décembre, elle se tourne vers l'ambassade du Canada à Riyad pour quitter le pays.

2006

Naissance du deuxième fils. À l'automne, Nathalie revient à Montréal sans sa famille, mais retourne la rejoindre le mois suivant.

2008-2009

Naissance d'un troisième enfant, Sarah, le 18 novembre 2008. La mère de Nathalie, Johanne Durocher, tente de mobiliser l'opinion publique. Des manifestations sont organisées, les députés de l'Assemblée nationale votent une motion pour réclamer le rapatriement de la jeune femme.

Juillet 2013

Nathalie Morin est expulsée de l'ambassade du Canada. Les Affaires étrangères n'ont toujours pas rappelé La Presse pour donner leur version des faits.