Vainqueur des élections de la veille au Pakistan, l'ancien premier ministre Nawaz Sharif a lancé dimanche des consultations en vue de former un gouvernement qui aura la tâche herculéenne de résoudre les graves problèmes économiques et sécuritaires du pays.

Ce retour aux affaires par la grande porte a le goût de la revanche pour M. Sharif, 63 ans, déposé par le coup d'État du général Pervez Musharraf en 1999 et qui partit en exil avant de revenir se reconstruire patiemment dans l'opposition.

Cet homme tout en retenue peut aujourd'hui sourire: il s'apprête à devenir le premier responsable pakistanais à devenir Premier ministre une troisième fois.

«Nous devons remercier Dieu d'avoir donné à la Ligue musulmane (PML-N) une autre chance de servir le Pakistan», a-t-il déclaré samedi soir en annonçant sa victoire à ses supporteurs rassemblés à Lahore (est), sur un ton très conciliant.

Il va succéder au pouvoir au grand perdant du scrutin, le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) du président Asif Ali Zardari, plombé par son mauvais bilan sécuritaire et économique pendant ses cinq ans au pouvoir.

Outre le discrédit du PPP et la volonté manifeste de changement des électeurs, Sharif «a gagné parce qu'il a une solide base électorale dans sa province du Pendjab», la plus peuplée du pays, selon l'analyste Hasan Askari.

La PML-N n'a toutefois pas obtenu la majorité absolue à l'Assemblée nationale, et aura besoin des indépendants, avec lesquels la PML-N discutait dimanche, ou de former une coalition pour gouverner.

Les télévisions locales pronostiquaient pour les troupes de M. Sharif plus de 115 sièges sur les 272 députés élus directement. Suivent le Mouvement pour la justice (PTI) d'Imran Khan et le PPP, au coude à coude, avec une trentaine de sièges.

Ce scrutin est historique, car il va permettre à un gouvernement civil de passer la main à un autre après avoir achevé un mandat complet de cinq ans, une première dans ce pays à l'histoire jalonnée de coups d'État militaires.

Les menaces d'attaques des rebelles talibans n'ont pas entamé l'enthousiasme des Pakistanais pour ces élections, avec une forte participation, proche des 60%, du jamais vu depuis les élections de... 1977.

Il a aussi et surtout vu la forte percée du PTI d'Imran Khan, qui a enthousiasmé les jeunes et les classes moyennes pendant la campagne en appelant de ses voeux un «nouveau Pakistan» et en promettant la fin de la corruption.

Dimanche, Imran Khan s'est adressé à la télévision depuis l'hôpital où il est soigné depuis sa lourde chute pendant une réunion de campagne la semaine dernière.

«Nous avançons sur la voie de la démocratie», a-t-il déclaré en félicitant les Pakistanais pour leur forte participation, notamment les jeunes et les femmes.

Il a également évoqué des fraudes et annoncé que le PTI «publierait un dossier» à ce sujet, sans en dire plus. La FAFEN, principale mission d'observation électorale pakistanaise, a elle qualifié le scrutin de «relativement libre» malgré des irrégularités dans des bureaux de vote.

La presse pakistanaise saluait largement dimanche le triomphe de la démocratie face aux menaces des rebelles talibans du TTP. Samedi, jour du scrutin, une dizaine d'attentats avaient fait 26 morts, portant ainsi à plus de 150 le nombre de personnes tuées dans des violences liées à ces élections depuis un mois.

Le premier ministre indien Manmohan Singh, dans un message sur Twitter, a souhaité que s'ouvre «un nouveau chapitre dans les relations» entre les deux pays voisins, tous deux détenteurs de l'arme nucléaire.

Le président américain Barack Obama a félicité les électeurs pakistanais pour ce «transfert historique, pacifique et transparent de pouvoir civil» et a assuré que son administration avait «hâte de continuer sa coopération, avec le gouvernement pakistanais issu de cette élection, entre partenaires égaux».

M. Sharif a également reçu les félicitations de ses voisins, notamment du président afghan Hamid Karzaï, qui lui a demandé de l'aider à amener les rebelles talibans afghans, historiquement proches du Pakistan, à négocier la paix.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a salué «le courage et la détermination des partis politiques et des fonctionnaires chargés de l'organisation du scrutin face à la difficile situation sécuritaire».

Nawaz Sharif doit désormais faire face aux immenses problèmes du Pakistan, instable géant de 180 millions d'habitants et seul pays musulman doté de l'arme nucléaire.

Sur le front économique, M. Sharif, qui a une image de bon gestionnaire, devra résoudre la grave crise énergétique, notamment les pénuries d'électricité, qui empoisonnent la vie de la population et minent la croissance.

Au niveau budgétaire, nombre d'analystes estiment que le Pakistan devra demander sous peu un nouveau prêt au Fonds monétaire international (FMI).

Côté sécuritaire, Nawaz Sharif hérite d'un pays miné par l'insurrection du TTP et dont la stabilité dépend aussi de la pacification de l'Afghanistan voisin.

M. Sharif avait par le passé ouvert la porte à des négociations avec le TTP, mais il devra s'accorder avec l'armée et avec Washington, premier bailleur de fond du Pakistan et qui le pousse à combattre sans relâche les insurgés.

Ironie de l'histoire, M. Sharif va reprendre le pouvoir au moment où son vieil ennemi le général Musharraf, assailli par la justice depuis son récent retour d'exil, est confiné par les autorités dans sa maison d'Islamabad. L'inverse de 1999, lorsque Musharraf déposa Sharif et le plaça en résidence surveillée.