Quand le gouvernement canadien a fermé son ambassade en Iran sans crier gare, le 7 septembre dernier, une vingtaine d'employés iraniens se sont retrouvés subitement sans emploi. Deux mois plus tard, furieux, ils dénoncent l'attitude cavalière de leur ancien employeur et demandent des comptes.

«Nous avons été jetés comme de vieux mouchoirs usés, alors que nos anciens collègues canadiens sont rentrés confortablement chez eux. Nous n'avons pas été traités avec respect», affirme au bout du fil un des anciens employés iraniens de l'ambassade. Ce dernier, qui préfère garder l'anonymat, ne décolère pas. Non seulement ses collègues et lui ont appris la fermeture de l'ambassade et la fuite des diplomates canadiens par l'entremise des médias, mais deux mois après avoir subitement perdu leur emploi, les deux tiers d'entre eux n'ont toujours pas reçu le paiement de leur salaire et de leur indemnité de cessation d'emploi.

Faisant front commun, 20 des employés «embauchés localement» par l'ambassade, selon le jargon diplomatique, ont envoyé une lettre au sous-ministre des Affaires étrangères du Canada, Morris Rosenberg, pour demander au gouvernement Harper d'agir rapidement. «La fermeture de l'ambassade a grandement affecté la vie des employés embauchés localement et celle de leurs familles. Ils luttent tous les jours avec leurs défis», peut-on lire dans la lettre, envoyée à la fin de la semaine dernière, et que La Presse a obtenue.

Insultés

Les signataires affirment également avoir trouvé «insultante» la lettre qu'ils ont reçue du sous-ministre le mois dernier dans laquelle ce dernier explique que la décision de fermer l'ambassade «a été prise en grande partie par souci pour la sécurité des employés canadiens et iraniens».

Foutaise, selon les employés restés à Téhéran. Certains d'entre eux affirment avoir été interrogés par la police diplomatique iranienne après la fermeture de l'ambassade. «Nous ne voyons pas comment le fait d'enlever les emplois des personnes embauchées localement et de les laisser derrière sans explication et sans possibilité d'être replacées ailleurs peut favoriser leur sécurité», font-ils valoir.

Les signataires suggèrent notamment au gouvernement canadien d'imiter les Britanniques. Après avoir fermé leur ambassade, le 30 novembre 2011, ils ont offert des permis de travail en Grande-Bretagne à leur personnel iranien. «Nous regrettons que votre reconnaissance de notre travail [pour le compte du Canada] [...] ne soit que verbale. Elle devrait aussi se matérialiser de manière tangible», concluent les 20 anciens employés, dont certains travaillaient pour le gouvernement canadien depuis plus de 20 ans.

Ex-ambassadeurs à la rescousse

L'ex-diplomate John Mundy, ancien ambassadeur du Canada à Téhéran, estime que le Canada aurait pu faire plus. «Lorsque le Canada a fermé des ambassades, nous n'avons pas nécessairement permis aux employés d'immigrer. Mais cela est un cas spécial. Nous les avons abandonnés dans des circonstances spéciales», dit M. Mundy, qui a lui-même été expulsé d'Iran par le régime des ayatollahs en 2007.

Ken Taylor, ex-ambassadeur devenu célèbre pour avoir caché six diplomates américains après la prise d'otages de l'ambassade des États-Unis en 1979, croit aussi que le comportement du Canada est difficile à comprendre. «Ce n'est pas comme ça que le Canada fait des affaires. Dans les années 90, l'ambassade a fermé temporairement, mais nous avons gardé plusieurs de nos employés locaux», note l'ex-diplomate, qui est de nouveau sous les projecteurs après la sortie du film Argo, qui relate l'exfiltration de ses anciens «invités».

À Ottawa, le bureau du ministre des Affaires étrangères, John Baird, a d'abord demandé à La Presse de reporter la publication de cet article. On a fait valoir que la publication des informations pouvait rendre le versement des sommes dues plus difficile - une explication que nos sources à Téhéran ont rejetée.

En réponse aux doléances des employés iraniens, le porte-parole du ministre Rick Roth confirme qu'une partie seulement des paiements de compensation ont été versés. «Tous les anciens employés recevront ce qui leur est dû», a écrit Rick Roth dans courriel envoyé à La Presse, sans préciser de délai. «Tout ce que nous avons fait en lien avec la fermeture de l'ambassade a été fait avec nos employés et leurs familles, en tête», conclut le courriel.