Tapis rouge, fanfare militaire et discours enflammés: le Hamas a sorti le grand jeu hier pour accueillir l'émir du Qatar à Gaza. Une visite historique et remarquée.

«En ce jour historique, nous accueillons l'une des plus brillantes personnalités de l'Islam», s'est exclamé, lyrique, Ismaïl Haniyeh, chef du gouvernement de Gaza. Le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani n'est pas seulement le premier chef d'État étranger à se rendre en visite officielle dans l'enclave islamiste, c'est aussi un allié solide et généreux.

L'émir n'est pas venu les mains vides. Il a annoncé un don de 400 millions de dollars. Une manne inespérée pour un territoire boycotté par la plupart des pays occidentaux et dont les frontières sont sévèrement contrôlées par Israël et par l'Égypte.

«Cet argent va servir à construire des logements, des routes, des systèmes d'eau potable», explique Ali Abu Shahla, homme d'affaires à Gaza. «La population en a le plus grand besoin. Mais le Qatar n'investit pas à Gaza par hasard. Il y aura forcément un prix politique à payer.»

Personne parmi les Palestiniens n'est dupe des intentions du richissime émirat. Surtout pas les dirigeants de l'Autorité palestinienne de Cisjordanie, qui ne verront pas la couleur du moindre pétrodollar. «En faisant clairement le choix des islamistes, le Qatar va encore davantage creuser le fossé qui nous sépare de nos frères de Gaza. Cela ruine tous nos efforts pour la réconciliation», déplore Mahmoud Labadi, porte-parole du Fatah, parti laïque à la tête de l'Autorité palestinienne.

Depuis juin 2007, Gaza et la Cisjordanie vivent en effet une guerre froide. Après des affrontements fratricides qui ont causé des dizaines de morts, Fatah et Hamas n'ont jamais réussi à rétablir un gouvernement commun et chacun rêve de revanche. Grâce au Qatar, les islamistes viennent de bénéficier d'un joli coup de pouce.

En investissant à Gaza, le Qatar poursuit une stratégie appliquée avec succès en Libye, en Égypte et peut-être demain en Syrie.

«Partout le Qatar soutient financièrement les Frères musulmans, dont le Hamas est une émanation. Grâce à Al-Jazira, la chaîne d'information la plus populaire du monde arabe, il influence les masses. Mais il abrite aussi d'importantes bases américaines sur son territoire et soutient les rebelles sunnites en Syrie. Son but: concurrencer l'influence de l'Iran et de la Turquie au Proche-Orient», analyse Amad Moussa, journaliste politique à Ramallah.

Fascinante ambition pour cet État minuscule, peuplé d'un peu moins de 2 millions d'habitants, dont seulement 200 000 nationaux. Disposant de fabuleuses réserves de pétrole et surtout de gaz, il investit tous azimuts. Des banlieues françaises aux studios d'Hollywood, des immeubles de bureaux londoniens aux clubs de football prestigieux, l'appétit de l'émir ne connaît pas de limite. Cet activisme financier se double de nombreuses offensives de charme diplomatiques auxquelles participe la séduisante cheikha, Mosa. Dernier trophée en date: l'obtention de l'organisation de la Coupe du monde de football en 2022.