Une nouvelle vague de crimes d'honneurs frappe les Territoires palestiniens. L'an dernier, l'assassinat sauvage d'une jeune femme avait scandalisé l'opinion, mais les pouvoirs publics ont été incapables d'enrayer ce fléau. Des groupes reviennent aujourd'hui à la charge et prônent l'abrogation de vieilles lois machistes.

Sur la photo, elle arbore un joli sourire, une peau diaphane, des yeux légèrement maquillés. Haya Baradiya avait 21 ans, elle étudiait l'anglais à l'Université d'Hébron, en Cisjordanie. En mai 2011, elle a été retrouvée au fond d'un puits, affreusement mutilée.

«C'est mon oncle qui l'a assassinée. Il n'acceptait pas qu'elle soit une femme libre», raconte Rami, son frère. Comme tant d'autres, Haya a payé de sa vie une relation hors mariage - réelle ou supposée. Elle a été victime d'un crime d'honneur, une pratique ancestrale qui continue d'ensanglanter les Territoires palestiniens.

Haya Baradiya fait désormais figure de symbole en Cisjordanie. L'émotion suscitée par son assassinat a largement débordé son village natal. Car cela faisait plus d'un an qu'Haya avait disparu au moment où on a retrouvé sa dépouille.

Alertée par les médias, la population s'était largement mobilisée pour résoudre l'énigme de sa disparition. «Pour les Palestiniens, c'était le crime de trop», analyse Shireen Abo-Fannouneh, juriste chez al-Haq, une association de défense des droits de l'homme établie à Ramallah. «Tant de cruauté, envers cette jeune femme et sa famille pour sauver soi-disant l'honneur du clan, c'était intolérable.»

Quelques jours après le drame, l'émission la plus populaire de la télévision a organisé une rencontre en direct du village, en présence de la mère d'Haya et de la plupart des habitants. Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne lui-même, avait appelé au cours de la soirée pour crier son indignation. Il s'était engagé à prendre des mesures. Trop timides et mal ciblées, elles n'ont guère porté leurs fruits. Cette année, une dizaine de crimes d'honneur ont été commis, dont trois pour le seul mois de juin. Les statistiques laissent présager l'aggravation du phénomène: en moyenne les Territoires palestiniens sont le théâtre d'une douzaine de crimes d'honneur par an.

«Le président Abbas s'est engagé à faire abroger la loi qui absout de toute sanction un mari surprenant sa femme en situation d'adultère. Mais de toute façon, elle est rarement appliquée par les tribunaux. En revanche, les juges utilisent souvent une autre loi qui préconise une condamnation à seulement six mois de prison pour un homme qui aurait tué une femme afin de laver l'honneur de sa famille. Et celle-là est toujours en vigueur», déplore Shireen Abo-Fannouneh.

Les associations sont formelles: aussi iniques qu'elles puissent paraître, ces lois reflètent une mentalité bien ancrée, sombre survivance d'une culture archaïque prônant la soumission féminine, Coran à l'appui. Tandis que l'infidélité masculine est largement tolérée, la femme de «mauvaise vie» salit l'honneur du clan tout entier. Laver l'injure est un devoir. Souvent, les assassins n'expriment aucun regret et bénéficient de l'assentiment général. Mais les choses évoluent, doucement.

À Ramallah, Soraïda Hussein milite depuis toujours pour que cessent les crimes d'honneur. À la tête d'une ONG, elle multiplie les campagnes d'information dans les écoles, les villages, les entreprises. Elle anime aussi un mensuel et une émission de radio. Inlassablement, elle explique à son auditoire qu'un crime reste un acte abominable, fût-il justifié par une «question d'honneur».

«Lorsque nous allons à la rencontre du public, tout le monde se prononce contre les crimes d'honneur. D'ailleurs, ces derniers temps, beaucoup de dignitaires religieux nous soutiennent, qu'ils soient musulmans ou chrétiens. Mais malheureusement, quand un crime d'honneur survient et que la rumeur met en doute la moralité de la victime, il s'en trouve toujours pour dire: «Finalement elle l'a bien cherché»», constate Soraïda.

La nouvelle vague de crimes d'honneur qui vient de frapper la Cisjordanie - et encore plus Gaza où les islamistes du Hamas, maîtres du territoire, se montrent particulièrement cléments à l'encontre des pseudo-justiciers - n'a laissé personne indifférent. Les médias et les associations se sont à nouveau mobilisés, demandant à l'Autorité palestinienne d'appliquer les peines les plus lourdes pour les assassins. «Pour changer les mentalités, il faudra des décennies. Mais si un homme sait qu'il risque 30 ans de prison s'il tue sa femme, sa fille ou sa soeur, alors cela peut enrayer le phénomène. Immédiatement», estime Soraïda Hussein.