L'homosexualité est illégale à Dubaï. Plusieurs couples gais originaires de pays arabes s'y établissent néanmoins car ils peuvent y vivre loin des regards indiscrets. Dans la foulée du défilé montréalais de la fierté gaie, notre collaboratrice s'est penchée sur ce paradoxe.

Qui aurait cru que Dubaï, petit Émirat conservateur à quelques coudées de l'Arabie saoudite, deviendrait un «refuge» pour des homosexuels venus de l'Égypte, de l'Irak ou du Koweït? Certainement pas Rania.

Cette femme menue, le regard vif souligné au crayon noir, a quitté la Syrie il y a 10 ans. Elle a vécu deux ans à Londres avant de s'installer à Dubaï, où sa compagne, également syrienne, est venue la rejoindre.

«Mon amie n'arrivait pas à obtenir un visa pour la Grande-Bretagne et je n'arrivais pas à trouver un emploi à Beyrouth. Dubaï était notre dernier choix, mais nous ne le regrettons pas, nous avons trouvé ici une liberté qui nous aurait fait défaut dans tout autre pays arabe, même au Liban.» Le Liban est pourtant réputé dans la région pour son libéralisme en matière de moeurs, selon Rania, 46 ans, qui dirige une agence de publicité.

Cette liberté n'est pas celle de pouvoir s'afficher publiquement - l'homosexualité est illégale à Dubaï comme dans tous les pays arabes -, mais de pouvoir vivre sa vie loin des regards indiscrets.

Un anonymat hors du commun

Dubaï, c'est un peu l'Amérique, une ville cosmopolite de 2 millions d'habitants où chacun vit dans son monde, sans s'inquiéter des qu'en-dira-t-on.

«Il y a à Dubaï un anonymat qui n'existe nulle part ailleurs dans le monde arabe. Par exemple, je ne connais pas mes voisins de palier, ce qui serait inimaginable à Beyrouth, à Damas ou au Caire, où tout le monde se connaît ou veut savoir qui on est, d'où on vient», raconte Rania.

Lina, sa compagne depuis bientôt 15 ans, approuve. «À Dubaï, on peut tout faire tant qu'on reste discret.» Les deux femmes n'ont de toute façon jamais eu l'intention de dévoiler au grand jour leur vie intime, sauf à quelques proches. Et cela ne s'est pas fait sans douleur.»

«Nos soeurs le savent et l'acceptent, même si cela été difficile au début, ajoute Rania. Nos amies les plus proches ont aussi été informées et compréhensives, sauf quelques-unes qui refusent désormais de nous parler. Nos parents, ils sont d'une autre génération, ils ne comprendraient pas et ça leur briserait le coeur pour rien.»

Homosexualité veut dire maladie

«Dubaï est sans doute le meilleur endroit de la région pour les homosexuels arabes qui sont déjà en couple et veulent vivre en paix dans leur cocon douillet. Mais si on est un gai émirati, alors il vaut mieux vivre à Beyrouth», affirme Hassan, un designer libanais de 44 ans qui s'est installé il y a trois ans aux Émirats.

En effet, si Dubaï est devenu une sorte de refuge pour des homosexuels irakiens, syriens ou égyptiens, la situation est bien différente pour les ressortissants des Émirats arabes unis, fédération composée de sept Émirats, dont Dubaï.

Minoritaires sur leur terre (ils représentent environ 16% de la population), ils ne peuvent compter ni sur l'anonymat ni sur une attitude compréhensive de leurs proches, puisque l'homosexualité y est considérée comme une maladie.

Abdulla, Émirati de 25 ans, en sait quelque chose. Parti étudier en Colombie-Britannique à 17 ans, il a discuté un peu trop ouvertement de sa sexualité sur l'internet. Questionné par sa famille, il a avoué son homosexualité. Sommé de rentrer au pays pour «subir un traitement hormonal», il a refusé et demandé au Canada le statut de réfugié, qui lui a été accordé. Il a depuis coupé tous les ponts avec sa famille.

Pour venir en aide à des compatriotes dans la même situation, il a mis en ligne l'an dernier sur les réseaux sociaux un groupe de défense des droits des homosexuels aux Émirats arabes unis. «Nous voulons juste que l'homosexualité soit dépénalisée, qu'elle ne soit plus qualifiée de maladie», dit-il. Et d'ajouter: «Les Émiratis qui ont une attirance émotionnelle et amoureuse pour une personne de même sexe sont forcés de vivre une double vie, c'est-à-dire de se marier et de voir leur amant en cachette.»

À Dubaï, il n'y a pas vraiment de «bars ou de clubs» connus pour attirer une discrète clientèle gaie, comme à Beyrouth, où l'homosexualité est, de manière générale, mieux tolérée. C'est sur les réseaux sociaux, très actifs, que les rencontres privées s'organisent dans des hôtels ou chez des particuliers.

«Il y a tellement de combats à mener dans le monde arabe pour les droits de l'homme qu'on ne sait plus par où commencer. Le Printemps arabe n'est pas près de souffler pour les homosexuels», dit Rania en soupirant.