Des fans le clament haut et fort: ils n'aiment pas les Arabes. Hors de question pour eux de laisser leur équipe de soccer favorite briser une règle vieille de plus de 75 ans: à Beitar Jérusalem, les joueurs arabes ne sont pas les bienvenus. Même si la situation embarrasse un grand nombre de partisans, la direction rechigne à les mettre hors jeu.

Imaginez une équipe de soccer européenne où les Juifs ne seraient pas admis. Où l'idée même de mettre sous contrat un joueur noir provoquerait un tollé. Où les buteurs musulmans seraient exclus. En 2012. Par crainte de représailles d'un groupe de fans extrémistes.

Le journaliste Yoav Borowitz évoque ces images pour décrire son indignation à l'égard d'un club israélien qui respecte une politique non écrite d'exclusion raciale, dictée par un noyau dur de partisans ultranationalistes. À Jérusalem, les joueurs arabes ne sont pas admis dans les rangs de Beitar. Même si les Arabes représentent le cinquième de la population israélienne.

«Il y a un club à Tel-Aviv où le capitaine est arabe, explique le journaliste du quotidien Haaretz. Personne ne fait de cas aujourd'hui de la présence de joueurs arabes au soccer en Israël. Sauf un club: Beitar. Je pense que la direction aimerait avoir un joueur arabe, mais personne n'a les tripes de le faire. Ils ont peur que les fans les détestent encore plus qu'ils ne détesteront le joueur.»

Le capitaine de Beitar a d'ailleurs soulevé l'indignation des fans en 2009 en déclarant vouloir des coéquipiers arabes. Il a été contraint de faire amende honorable pour avoir «blessé» les partisans - et plus particulièrement le groupe d'«ultras» du club, comme sont couramment appelés les supporters fanatiques.

Violence des fans

Personne n'ose donner le coup d'envoi à un changement de politique. La violence des fans extrémistes a donné plus d'un mal de tête à l'équipe. Et à ses adversaires, parfois physiquement pris à partie.

En mars dernier, des centaines de jeunes hommes ont fait irruption dans un centre commercial voisin du stade après un match, le foulard jaune et noir de leur équipe noué autour du cou. Selon des témoins, ils ont scandé: «Mort aux Arabes!» Des employés arabes ont été battus. Seize personnes ont été arrêtées.

«Beitar est une équipe raciste, martèle Yoav Borowitz, qui fait fi des regards curieux que ses éclats de voix provoquent dans un café de Tel-Aviv. Comment se fait-il que l'Association de football israélien, le Parlement, la cour, la municipalité les laissent faire?»

Il a appelé à un boycottage médiatique de l'équipe, après une nouvelle controverse il y a quelques mois. Le joueur de Maccabi Haïfa, Mohammed Ghadi, a exprimé ouvertement son désir de jouer pour Beitar. Même si le club connaît une saison particulièrement difficile, le buteur n'a pas été recruté. Sa proposition a aussi irrité des Arabes israéliens, qui ont dénoncé sa volonté de marquer pour un club à la réputation antiarabe.

Le porte-parole de Beitar affirme pour sa part que l'opposition de la communauté arabe-israélienne est à la source de l'absence de joueurs arabes à Jérusalem. Mais il avoue aussi que l'attitude d'un groupe de fans est en cause.

«Peut-être que quand tous les fans vont réaliser que le racisme n'est pas une bonne chose, peut-être qu'à ce moment nous pourrons avoir un joueur arabe, explique Asaf Shaked. Une partie - une petite partie - des fans n'est pas prête, mais nous sommes sur le bon chemin. Parfois, un petit groupe de fans qui crie a plus de pouvoir que 10 000 fans qui se comportent correctement.»

Des campagnes de sensibilisation, lancées notamment il y a quelques années par l'Israel New Fund, invitent les partisans à faire obstruction en huant les chants racistes. L'organisme a noté une amélioration au fil des ans.

»Nous n'aimons pas les Arabes»

Mais même des partisans qui condamnent la violence et les insultes de leurs pairs disent qu'ils n'accepteraient jamais de voir un joueur arabe se joindre à l'équipe. Roni Reznik décrit Beitar comme sa «deuxième femme» - ce qui fait sourire sa femme, Ronit. L'homme de 58 ans fait partie du club d'«ultras» de Jérusalem, un groupe de 4000 fans surnommé La Familia. Même s'il condamne l'agressivité des plus jeunes, il s'oppose fermement à l'embauche d'un joueur arabe. «Nous n'aimons pas les Arabes, dit-il. Les gens des autres clubs ne les aiment pas beaucoup non plus. Le directeur de Beitar ne peut pas amener un Arabe. Ça ferait beaucoup de problèmes, ce ne serait pas bon.»

Il justifie sa position notamment par «l'histoire et l'idéologie» du club, dont le logo est frappé d'une ménorah, le candélabre juif. Historiquement, Beitar est lié au mouvement sioniste du même nom, proche de la droite nationaliste. À l'origine, chaque équipe était rattachée à un courant politique. Si ce n'est plus officiellement le cas aujourd'hui, des tensions subsistent entre clubs traditionnellement à l'opposé sur l'échiquier politique. Les fans de Beitar sont en grande partie de la classe populaire et comptent beaucoup d'Israéliens juifs originaires de pays arabes parmi eux.

Cette année, les dirigeants de Beitar ont décidé de combattre le racisme par une campagne de sensibilisation dans les médias et dans les écoles.

Ils veulent botter l'image de bête noire du soccer israélien qui lui colle à la peau. Et qui finit par avoir des conséquences directes pour l'équipe. «C'est un grand problème, dit Yossi Gabay, directeur du marketing pour Beitar. L'image du club n'est pas bonne. Beitar a beaucoup de visibilité et les annonceurs savent qu'ils vont avoir beaucoup de visibilité. Mais ils ne veulent pas venir annoncer ici parce qu'ils pensent que c'est mauvais pour eux. Si j'ai 50 rencontres avec des annonceurs potentiels, 45 vont me dire non à cause de ça.»

Yoav Borowitz espère que le stigmate va encourager la direction à changer ses règles officieuses. «Je crois qu'un joueur arabe va se joindre à l'équipe d'ici deux ou trois ans, parce que ça a pris une telle proportion, explique-t-il. Et je ne crois pas que ça va être une si grosse affaire. Des fans vont s'y opposer, mais ça va passer.»

Insultes, vitres de voiture brisées, attaque évitée de justesse : le joueur de soccer Abbas Suan dit avoir goûté à la violence de fans de Beitar. «C'est l'équipe la plus dangereuse de la ligue israélienne aujourd'hui», a-t-il confié récemment au quotidien israélien Haaretz, après un événement dans un centre commercial en mars. En 2009, l'ancien membre de l'équipe nationale israélienne aurait pu devenir le premier joueur arabe israélien à se joindre à Beitar. Mais devant la colère des partisans, le propriétaire a retiré son offre.

Beitar en chiffre:

1936

Le club Beitar a été fondé en 1936, avant la création d'Israël. Il doit son nom à un mouvement sioniste.

10

Beitar Jérusalem est actuellement en 10e position de la première division.

5

Chaque club peut embaucher jusqu'à cinq étrangers. Beitar compte actuellement quatre joueurs étrangers: du Brésil, de l'Ukraine, de l'Argentine et du Nigéria.

16

La première division israélienne - ou «Ligue Champion» -, nommée d'après un commanditaire, compte 16 équipes. Les trois clubs classés au dernier rang à l'issue d'une saison sont relégués à la deuxième division, aussi composée de 16 équipes.

37

Chaque équipe joue 37 parties. Le dernier match de la saison sera disputé le 12 mai prochain, près de neuf mois après son coup d'envoi, le 20 août dernier.