C'était une journée de travail ordinaire à Kaboul pour Julian Steele et James Davis. Le 3 janvier, les deux Britanniques se dirigeaient vers un stand de tir, en périphérie de la capitale afghane, pour tester des kalachnikovs destinées aux gardiens de sécurité de GardaWorld.

Ils se sont arrêtés à un barrage routier. Dans le coffre de leur véhicule sport utilitaire, la police a découvert 30 AK-47 enveloppées dans une couverture. Les numéros de série de la plupart des armes avaient été effacés.

Depuis, les deux hommes croupissent dans une geôle de Kaboul. En conférence de presse, un porte-parole du gouvernement afghan les a accusés de trafic d'armes et a annoncé la révocation du permis de GardaWorld, l'une des 46 firmes de sécurité encore autorisées à être présentes en Afghanistan.

Mais rien de tout cela n'ébranle le président et chef de la direction de Garda, Stéphan Crétier. «Des avis d'éviction dans ces pays-là, on en reçoit tous les deux mois. C'est business as usual pour nous», assure-t-il.

De l'avis de plusieurs observateurs, Julian Steele et James Davis ressemblent moins à des trafiquants d'armes qu'à des victimes de l'épreuve de force qui oppose le président Hamid Karzaï aux firmes de sécurité privées, omniprésentes en Afghanistan.

«C'est une accusation absurde», s'exclame l'avocate des employés de GardaWorld, Kim Motley, jointe à Kaboul. D'ailleurs, les deux hommes n'ont toujours pas été accusés formellement, ajoute-t-elle.

Faire le ménage

Comme eux, des milliers de gardes privés offrent leurs services aux hommes d'affaires, diplomates et organisations humanitaires en Afghanistan. D'autres sont des miliciens afghans à la solde des seigneurs de guerre. Leurs méthodes parfois brutales les ont rendus impopulaires auprès de la population, qui les considère comme des mercenaires.

Déterminé à faire le ménage, le président Karzaï a intimé l'ordre à ces firmes privées, à l'exception de celles qui protègent les ambassades, de plier bagage d'ici au mois de mars.

Mais cette échéance n'ébranle pas davantage M. Crétier. «Il n'y a aucun deadline. Nous faisons partie de la cinquantaine de firmes qui opèrent légalement dans ce pays, et cela ne changera pas.»

Les forces afghanes n'ont pas la capacité de prendre le relais des firmes de sécurité privées. Et les pays qui dépensent des milliards pour reconstruire l'Afghanistan refuseront d'y rester sans protection. Le pays est encore trop violent, trop chaotique.

Or, le chaos, c'est le fond de commerce de GardaWorld.

Occasions d'affaires

Le retrait des forces de l'OTAN de l'Afghanistan, en 2014, représente une formidable occasion d'affaires pour la firme canadienne. Comme le retrait des troupes américaines en Irak. Et comme le Printemps arabe, qui a ébranlé bien des dictatures au Moyen-Orient.

Déjà, GardaWorld constitue «le plus gros fournisseur de sécurité en Libye», selon M. Crétier. La firme y assure la protection de l'ambassade du Royaume-Uni, d'une société pétrolière et d'une firme américaine de consultants.

GardaWorld évolue très bien dans une industrie en pleine croissance, qui se nourrit de l'insécurité dans le monde. L'entreprise compte 8000 employés déployés dans les points chauds de la planète. M. Crétier y croit tant qu'il s'est installé à Dubaï pour veiller au développement de GardaWorld au Moyen-Orient.

Irak, Yémen, Libye, Afghanistan... Pour M. Crétier, ces pays troublés sont comme un «buffet chinois», où la nourriture est si abondante qu'on ne sait laquelle choisir.

Le PDG l'a expliqué en toute franchise lors de la dernière assemblée des actionnaires: «Ce n'est pas drôle, ce qui arrive, mais en même temps, ce qui n'est pas drôle est malheureusement bon pour les affaires.»