Les Américains «nous enfermaient dans des boîtes en fer et faisaient un bruit infernal qui provoquait de terribles maux de tête»: Abou Moustafa a connu l'«enfer» de la prison d'Abou Ghraib près de Bagdad, et il lui arrive depuis de devenir «fou par moments».

Cet enseignant de 33 ans, originaire de la ville sainte chiite de Najaf, a appartenu à l'Armée du Mahdi, la milice du chef radical chiite Moqtada Sadr. Arrêté en septembre 2004, il a passé quatre ans dans les prisons américaines, dont deux séjours à Abou Ghraib.

Depuis il est devenu totalement instable. «Par moments, je deviens fou, je crie sans raison ou je reste prostré pendant des heures. Ma famille me demande pourquoi je me conduis ainsi. Que lui dire? Que j'ai brusquement le sentiment qu'ils m'enchaînent pour me remettre à nouveau dans cette boîte».

«Je ne peux pas décrire l'enfer que j'ai vécu», assure ce père de deux enfants.

En avril 2004, la prison d'Abou Ghraïb, à 20 km à l'ouest de Bagdad, est devenue le symbole honni de l'occupation américaine pour nombre d'Irakiens, après la révélation des sévices infligés aux prisonniers par des soldats américains.

La publication des premières photos de prisonniers maltraités par leurs geôliers a entraîné un scandale retentissant.

Sur les images, des pyramides de détenus nus, des prisonniers tenus en laisse, menacés par des chiens ou contraints de se masturber.

Ces exactions ont été présentées par l'administration américaine comme étant le fait de quelques militaires isolés. Onze soldats américains ont été condamnés à des peines allant de la radiation de l'armée à dix ans de prison.

Mais le président américain George W. Bush a estimé que cela avait été «la plus grosse erreur» commise par les États-Unis en Irak. La prison fut graduellement fermée de septembre 2006 à février 2009.

Un autre ancien détenu, Mahmoud Ali Hussein, jette un oeil à ses moignons avant de promettre: «Jamais je n'oublierai ce que m'ont fait les Américains et j'apprendrai à mes trois enfants à les combattre».

Employé dans le garage de son père à Fallouja, à 60 km à l'ouest de la capitale, Mahmoud Ali Hussein, âgé aujourd'hui de 35 ans, avait été arrêté avec dix autres habitants en octobre 2005, au pic de l'insurrection dans cette région sunnite.

Blessé dans un attentat contre le convoi américain qui le conduisait à la sinistre prison, il a été amputé des deux bras et des jambes.

«Les soldats américains étaient brutaux. Même les malades étaient attachés à leur lit», se souvient l'homme assis sur une chaise roulante, qui a été libéré en 2006.

Pendant qu'il parle, un parent lui tend une cigarette pour qu'il aspire une bouffée. «J'aurais voulu posséder encore mes bras et mes jambes pour les combattre, car j'ai assisté à la longue souffrance de mon peuple».

Construite dans les années 1960, la prison était un centre de torture et d'exécution sous l'ex-président Saddam Hussein. Après sa chute en avril 2003, l'établissement avait été baptisé par les États-Unis «Centre correctionnel de Bagdad». Il a été transféré aux Irakiens en septembre 2006.

Selon Nagi Abid Hamid, chef d'Ahed (Promesse), une organisation de défense des droits des prisonniers, 70% des dizaines de milliers d'Irakiens qui sont passés par les prisons américaines ont des séquelles.

«Ils ont des accès de violence, certains s'isolent de leur famille ou  refusent de manger pendant plusieurs jours, d'autres ont divorcé», assure-t-il.

À Samarra, à 110 km au nord de Bagdad, Abou Mohammad, un enseignant de 47 ans, assure être «devenu asocial». «Je n'arrive plus à plaisanter, ni à passer une soirée avec des amis. J'ai le sentiment que mes enfants me haïssent», confie ce père de cinq enfants, arrêté en mars 2004, car il se trouvait sur le lieu d'un attentat anti-américain. Il a croupi deux ans à Abou Ghraib.

Dans le jardin de la maison familiale à Fallouja, pendant qu'un de ses proches distribue des photos de Mahmoud avant l'attentat, son père Ali Hussein se dresse et lance d'une voix sourde: «S'il existe une justice internationale, ces Américains doivent être jugés. J'espère qu'il leur arrivera la même chose qu'à mon fils».