Une tête mise à prix. Des restrictions de déplacement. Des interrogatoires. Mais aussi des mariages et des célébrations. Près de deux mois après la libération d'un premier groupe de prisonniers palestiniens dans l'échange pour le soldat Shalit, et à la veille de la deuxième phase, La Presse s'est penchée sur leur nouvelle vie loin des barreaux.

Hani Jaber a l'impression de vivre «dans un film américain de cow-boys». Des affiches placardées dans sa ville natale d'Hébron, en Cisjordanie, montrent son visage et offrent une récompense - jusqu'à 100 000$, selon les médias israéliens - pour des informations sur ses allées et venues.

Un groupe de colons radicaux, opposés à sa libération, serait derrière l'initiative. Plusieurs ne voient pas d'un bon oeil la libération de l'homme de 36 ans, condamné à deux peines de prison à vie il y a 18 ans pour le meurtre d'un des leurs. Hani Jaber a été relâché il y a près de deux mois, en même temps que 476 autres prisonniers palestiniens, dans une entente entre Israël et le Hamas pour la libération du soldat israélien Gilad Shalit.

La deuxième phase de l'échange devrait avoir lieu demain et permettre à plus de 550 détenus supplémentaires de quitter les prisons. À sa libération, l'armée israélienne a conseillé à Hani Jaber de ne pas retourner à la maison familiale, dans une région où les tensions entre les colons israéliens et les Palestiniens sont particulièrement vives. Depuis, il se cache et limite ses déplacements.

«Avec la récompense offerte, je ne sais pas d'où le coup de poignard va venir, dit, d'une voix posée, l'homme barbu rencontré par La Presse. Je suis très prudent. Je me sens en danger. Il y a toujours quelqu'un de la famille qui m'accompagne. Puisque je suis absent depuis 18 ans, je ne connais plus les gens, je dois faire attention à qui je rencontre.»

Cas exceptionnel

Le cas d'Hani Jaber reste exceptionnel, selon les données compilées par Addameer, organisme qui s'occupe des droits des prisonniers. Pour plusieurs ex-détenus, les problèmes recensés concernent surtout la difficulté à obtenir des autorisations pour des déplacements et les interrogatoires menés par le service de sécurité israélien. «Nous pensons que les autorités israéliennes vont arrêter de nouveau les ex-détenus à la première occasion», croit Mourad Jadallah, chercheur judiciaire pour Addameer.

Malgré tout, les anciens prisonniers reprennent tranquillement une vie normale. Certains se sont mariés ou ont assisté au mariage de leurs enfants. D'autres ont commencé à bâtir des maisons avec des sommes accordées par l'Autorité palestinienne et le gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza.

Libéré après 31 ans de prison, Fouad Al-Razem a fait le pèlerinage à La Mecque. Il s'est marié la semaine dernière. L'homme de 54 ans de Jérusalem faisait partie d'une cellule qui a attaqué et tué des soldats israéliens dans les années 70. Il a été libéré dans la bande de Gaza, comme 164 prisonniers originaires de Jérusalem ou de la Cisjordanie.

«C'est difficile parce qu'on n'a pas de famille ici. J'espère pouvoir retourner à Jérusalem», souligne-t-il dans une entrevue téléphonique.

»Douloureux»

Pour plusieurs Israéliens qui ont dénoncé les termes de l'échange, voir les ex-détenus accueillis en héros et se rebâtir une vie reste difficile. Yossi Zur, qui a perdu son fils de 17 ans dans un attentat en 2003, a plaidé en Cour suprême contre l'accord. «Le gouvernement les a laissés gagner, soupire-t-il. Quand je les vois dans des hôtels ou recevoir de l'argent ou construire des maisons comme si rien n'était arrivé, c'est très douloureux.» Trois hommes condamnés pour leur rôle dans l'attentat dans lequel son fils a péri ont été libérés.

L'association de familles de victimes d'actes terroristes, dont il fait partie, devait regarder de près la liste des prisonniers libérés dans la deuxième phase de l'échange. Le premier ministre israélien a d'ailleurs promis de relâcher en majorité des criminels emprisonnés pour des délits mineurs.

Dans une vidéo mise en ligne dimanche dernier, Gilad Shalit a remercié les gens qui se sont mobilisés pour le faire libérer. «Je suis convaincu que votre lutte prolongée, malgré toutes les difficultés, ainsi que le soutien de ma famille ont été des facteurs déterminants qui ont conduit à ma libération», a-t-il dit. Le jeune soldat, détenu par le Hamas dans la bande de Gaza pendant plus de cinq ans, n'a pas été autorisé à parler aux médias depuis sa libération le 18 octobre.